Scènes

Jazz à Vienne 2012 (13) - 11 juillet

Dianne Reeves, évidemment un enchantement…


Une des soirées les plus discrètes de l’édition 2012, et pourtant une des plus belles : Terri Lyne Carrington, pour revenir sur Mosaïc Project, avait bien sûr convié Dianne Reeves. Au sommet de son art. Auparavant, comme promis, Joshua Redman avait donné un bref concert tout en finesse et élégance, en compagnie du trio The Bad Plus. Une rencontre étonnante.

Elle fait une entrée discrète. Elégante. Coupe à la garçonne. « Here, my favorite place… ». C’est effectivement une habituée des lieux. Tout se passe comme si on renouait avec ces sets qui ont marqué l’histoire du festival, lutte éternelle du jazz contre la pluie qui en renforce l’intensité, le prodige éphémère. Elle, c’est évidemment Dianne Reeves, invitée ce soir par la percussionniste Terri Lyne Carrington. Quelques mesures de contrebasse, un zeste de batterie et la chanteuse monte à bord.

L’objet du concert viennois de Carrington est d’exécuter fois en live, son Mosaïc Project, coup de projecteur sur (ou éloge d’) un jazz plus particulièrement dédié et fabriqué au féminin, aux chanteuses ou aux instrumentistes. Certes, on se méfie de tout ce qui, en jazz, se porte en bandoulière, que ce soit le sexe, l’appartenance géographique, ethnique, musicale ou toute autre croisade. Le projet (réalisé) de Terri Lyne Carrington présentait tout de même l’intérêt de réunir des musiciens d’origines très diverses puisque, autour de celle qui a accompagné tant de grands (Stan Getz, etc) se trouvent Helen Sung au piano, Joshua Hari Brozoski à la contrebasse, Nir Felder à la guitare, plus deux saxophonistes contrastées, Tia Fuller, énergique et volubile, et Tineke Postma, trésor inattendu. Dianne Reeves y trouve parfaitement sa place, tout en sachant comme rarement mettre en valeur ses sidewomen.

Terri Lyne Carrington Photo Marion Tisserand

Cette petite armée efficace sait parcourir les couleurs de l’arc-en-ciel, allant d’un calypso égrené à la guitare sèche, près de Dianne Reeves assise, jusqu’à un « Salt Peanuts » chargé de conclure, en passant par des compositions originales ou bien « Body and Soul ». Superbe de bout en bout. Un moment d’écoute rare, mutuelle, collective, magnifiant chaque personnalité, chaque perception du jeu. Ainsi, Helen Sung dans une réinterprétation étonnante du « Michelle » des Beatles. Et, bien sûr, Dianne Reeves, mais aussi, sur des thèmes délicats, Tineke Postma, saxophoniste impressionniste, qui sait, en quelques phrasés, clouer le théâtre dans un silence recueilli, développant un petit monde à part, attirant, sans cesse renouvelé.

Mais rendons à Cléopâtre ce qui revient à Cléopâtre : la belle sollicitude de Carrington et le talent des autres membres du Mosaic Project sont évidemment transcendés par Reeves. Une des plus grandes voix actuelles mais encore ? Un timbre, une décontraction, une façon de nuancer à l’infini, d’arpenter tout le spectre vocal, du ton le plus mutin au scat le plus rauque, fin et solide comme une dentelle, le tout porté par une conviction entière.

Le final sera à la mesure de ces artistes : Dianne Reeves, qui vient d’administrer quelques belles leçons de scat enjoué face à un public de plus en plus trempé, s’amuse à présenter chaque musicienne à grand renfort de superlatifs - amplement mérités - vieille tradition, effet garanti. Les bouquets de fleurs seront pour la fin.

Joshua Redman Photo Marion Tisserand

The Bad Plus + Joshua Redman : une étonnante saveur

Auparavant, pour ouvrir une de ses soirées les plus nettement marquées jazz au Théâtre antique, Vienne accueillait donc le célèbre trio The Bad Plus, escorté d’un invité dûment célèbre, Joshua Redman. Le saxophoniste occupe ici une place particulière, car Jazz à Vienne a été un des premiers festivals à découvrir son phrasé très pur qui se déploie à partir d’une technique irréprochable. Cette rencontre bâtie sur des compositions du trio donne toutes ses saveurs. Le trio augmenté ne cesse de changer de configuration : partant d’une intro à la contrebasse ou bien à quatre, ils aiment emprunter des chemins parallèles, contrebasse / batterie par exemple, ou encore piano / sax. L’air de rien, ils ne cessent de nous surprendre par l’ampleur des thèmes, de la ballade au hard bop ivre pour en appeler, via un crescendo constant, à Lester Bowie et à sa génération inoubliable. Un concert fait de connivence et d’attention réciproque, de finesse entre le trio et l’invité, tous plongés dans une même quête musicale.


Ses deux concerts ont été joliment salués : chansons séduisantes, quintet efficace, voix suave, la jeune chanteuse peut commencer à envisager sereinement l’avenir…

Voix caressante, ingénue, canaille. Formation carrée et efficace : guitare, basse, batterie. Chansons oscillant entre rock, rythm’n’blues et country soutenue, pour l’essentiel en anglais et plus rarement en espagnol (la belle est originaire du Guatemala), Gaby Moreno passe fort bien. A Vienne, la jeune femme n’est même pas du tout passée inaperçue, puisque qu’elle était programmée une première fois aux Jardins de Cybèle, dans l’après-midi, et au Club de Minuit le soir.

Deux concerts, deux succès. Le premier tombait sous le sens : ses chansons ont toutes les qualités de l’été : quand elles ne déménagent pas, elles sont voluptueuses à souhait (« Y tu Sombra », « Garrick »). En revanche, le public du Club aurait pu s’en tenir a un succès poli. Il n’en fut rien : guitare sous le bras, tout sourire, la jeune femme a retenu de bout en bout l’attention du petit théâtre avant de repartir comme elle était venue.

Au programme de ces deux concerts, son dernier album : Illustrated Songs : une quinzaine de chansons ou de thèmes variés, faciles à retenir, bien en place, bien en boîte, sans grands effets malgré l’ajout de quelques cuivres qui n’étaient pas conviés lors de da tournée. Mais même en quintet, elle-même se chargeant de la guitare rythmique, capable de passer d’un rock martelé à un slow d’été qui fait déjà date, Gaby Moreno s’en sort très bien. En guise de rappel, comme elle s’était déjà amusée à le faire, c’est Gainsbourg qui est convié pour un « Laisse tomber les filles » façon rock, chanté avec un petit accent d’Amérique Centrale. Moreno en français dans le texte. Le Club a apprécié.