Scènes

Jazz à Vienne 2012 (6) - 6 juillet

Enchantements de guitares aux horizons très divers…


Entre Biréli Lagrène, Larry Carlton et Al Di Meola, le rapport n’est ni évident, ni immédiat. Tous talentueux, ils ont donné cette année à Vienne des concert aboutis et plébiscités, Lagrène pâtissant d’un horaire de passage tardif.

La soirée promettait d’être longue. Elle risquait d’être décousue.
Vrai pour l’un. Faux pour l’autre. Même si Bireli Lagrène en a relativement fait les frais pour avoir eu l’honneur-« piège » de passer en dernier, derrière un Al Di Meola de haute volée.

Bireli Lagrène © Marion Tisserand

Depuis longtemps on attendait, on espérait que ce guitariste virtuose prendrait un peu de champ par rapport au jazz manouche et se tournerait vers d’autres horizons ; disons que l’entreprise aura été mal récompensée.
Il est vrai que ce répertoire, dans lequel il emmène Frank Wolf au sax ténor, Jean-Yves Jung à l’orgue Hammond et Jean-Marc Robin à la batterie est relativement inclassable - un bebop un poil vieilli. Pour la circonstance, Biréli Lagrène a troqué son inusable guitare sèche pour une électrique sonore et énergique. À la fois en avant et d’une rare discrétion, il maintient dans ce quartet un savant équilibre, orgue, sax et guitare attentifs aux autres, tour à tour ou ensemble.

Larry Carlton : une musique datée qui prend date

Larry Carlton @ Marion Tisserand

Mais pour débuter cette soirée guitares, honneur à Larry Carlton. Seul sur scène le temps de quelques mesures - une intro facile (« Goodbye ») -, histoire de planter le décor avant que ne le rejoignent sur scène ses trois compères, Dennis Hamm (claviers), Travis Carlton à la basse et Gene Coye (batterie).
Datée, cette musique ? C’est ce qu’on se dit de prime abord, surtout sur un premier blues-rock façon John Mayall, ou quand ça ronronne à la George Benson, grand habitué des lieux. Et puis, au fil des morceaux, « Josie », « Gracias », « Room 335 » ou « Minute By minute », se reconstruit sous nos yeux un bel ensemble, tout en délicatesse, en pulsations retenues, en effets à peine suggérés, sous la férule du guitariste. Vient « Burnable » et sa célèbre « pompe ». Comme avant (ou après), Carlton abandonne les effets appuyés pour marcher sur la pointe des pieds. Entre les claviers, la batterie et la basse, tout se fait en douceur, plus smooth que jamais, un peu suranné peut-être, avec cette guitare qui vient à son tour butiner au milieu. Funk de bon aloi, sans rajouts. On va surtout s’en rendre compte avec l’étonnante performance de Gene Coye, drummer de génie au jeu étonnamment léché, multiple, qui lors d’un solo mémorable caresse ses toms ou ses cymbales dans un désordre dont lui seul détient la clef. Même Carlton, en final du morceau, ne peut s’empêcher de saluer publiquement cette discrète performance. En somme, dans ce concert un peu convenu, voire attendu, on a eu droit à un petit moment de grâce, le guitariste sachant s’allier les claviers de Hamm pour susurrer dans l’aigu, sans jamais s’appesantir, tel un chant d’oiseau. Le public ne s’y trompe pas, qui apprécie tout particulièrement l’osmose entre cette musique d’apparence simple, le beau coucher de soleil sur le Rhône, et les aimables images d’outre-Atlantique que le Carlton aime tant évoquer.

Rubalcaba – Al Di Meola : l’état de grâce

Al Di Meola © Marion Tisserand

A la nuit tombée, c’est au tour d’Al Di Meola d’entrer en jeu. Figure familière de Jazz à Vienne, où il a multiplié les concerts inattendus, eux - que ce soit avec de petites ou de grandes pointures - en laissant invariablement au public un souvenir inoubliable. Ce soir il ne dérogera pas à la règle : il convoque pour cette rencontre très latine deux étonnantes « petites mains », Orlando Maraca Valle à la flûte et Gonzalo Rubalcaba au piano. A quoi s’ajoutent une batterie, une guitare supplémentaire et un accordéon étonnant (Fausto Beccalossi). A eux six, ils construisent un édifice musical insolite, bâti sur les contrastes, qui atténue ce que la musique d’Al Di Meola peut contenir d’âpreté.
Rubalcaba va au-delà de ce qu’on attend de lui en apportant son toucher si particulier, auquel on est d’autant plus sensible durant un solo calé entre un thème de Jacques Tati et certaine petite musique de nuit… Le tout sur le ton de la confidence - ce qui, dans un théâtre bondé, a toujours des allures de performance.
Pour accentuer encore le syncrétisme, Di Meola sait s’extraire de ses compositions personnelles ou des thèmes latins connus pour annexer d’autres répertoires ; son interprétation du « Blackbird » des Beatles en dit long sur sa capacité à relire les standards.