Scènes

Jazz à Vienne 2012 (8) - 8 juillet

Esperanza Spalding, Avishai Cohen : contrebasses–contrastes…


Esperanza Spalding – Avishai Cohen : contrebasses – contrastes… La première livre un concert sage, très vocal et très arrangé. Le second sait embarquer son trio dans d’étonnantes pérégrinations alliant énergie et sincérité.

Esperanza Spalding ne s’est guère écartée de son dernier disque, ce Radio Music Society parfaitement mis en boîte, suave, maîtrisé de bout en bout, assis sur des arrangements d’airain. Pour ses retrouvailles avec Vienne et pour mener à bien son projet, la jeune bassiste s’est entourée de tous ses comparses - ce qui prend vite tout son sens : passé l’intro à la contrebasse, elle endosse sa guitare basse pour lancer un « Hold on Me » largement nourri de cuivres qui auront la part belle tout au long du concert.

Esperanza Spalding © Marion Tisserand

Et ainsi de suite, de « Vague Suspicions » à « Black Gold », ou de « Radio Song » à d’autres morceaux de l’album précité, Spalding et ses musiciens livrent un « concert chanté » plus qu’un set instrumental. Sa jeune voix résonne finement dans le Théâtre, soutenue adroitement par saxophones, trompettes, flûte et claviers. Ce faisant (et c’est sans doute une déception pour une soirée placée sous le signe de la basse), la jeune femme délaisse souvent la basse et surtout la contrebasse. C’est la rançon de cette musique inclassable, tendance funk délicat rehaussé de chœurs parfaitement en place rappelant le Manhattan Transfer de la grande époque. Ça penche parfois vers la musique d’ambiance ou d’« entertainment » ; les morceaux défilent sagement, presque trop. Heureusement, les pointures de l’orchestre et les arrangements bien ficelés sauvent l’ensemble, malgré une morosité omniprésente. Que manquait-il ? En fait, et cette édition le confirmera amplement, la grande scène du Théâtre antique ne s’anime jamais autant que lorsque l’artiste n’hésite pas à prendre les chemins de traverse, à planter là partitions et set list pour s’embarquer, avec son instrument, dans des solos improvisés et imprévus. Esperanza Spalding s’y frottera, le temps d’un petit pas de danse autour de sa contrebasse. C’est lumineux. Mais bref.

Avishai Cohen : un trio qui franchit les montagnes

Avishai Cohen © Marion Tisserand

A l’inverse, Avishai Cohen sait prendre son propre concert à la gorge. Certes, il est multiforme, multi-musiques, multi-expériences… On se souvient par exemple de sa prestation tout à fait inattendue au festival « A Vaulx Jazz » il y a deux ans. Il ne faut pas ici s’attendre à entendre ses dernières parutions discographiques : il ne sera point question ici de son récent Duende, pas de deux avec le jeune pianiste Nitai Hershkovits. On est aussi bien loin de son duo de 2008, à Vienne, avec Shai Maestro. Cette fois Avishai Cohen revient au traditionnel trio piano-basse-batterie. Non plus avec Mark Giuliana et Sam Barsh (pourtant, la fusion était parfaite…) mais avec deux jeunes musiciens, Omri Mor au piano et Amir Bresler à la batterie. Un voyage énergique, mais aussi une interpellation : le trio franchit les montagnes, en appelle à toutes les musiques, du Liban à l’Andalousie, en passant par la salsa, entre autres ; Cohen délaisse la contrebasse, se mêle de claviers et part dans un set un peu fou, généreux, à l’optimisme contagieux. Ultime pirouette, c’est le moment qu’il choisit pour tirer de son instrument des couleurs à usage unique, aussitôt nées, aussitôt envolées, laissant planer dans le Théâtre une étonnante résonance…