Scènes

Jazz à Vienne en léger différé… (2)

Salif Keita, Ornette Coleman, Sonny Rollins, Claude Bolling, Paradox. De notre correspondant.


2 juillet : Salif Keita, homme du monde

On garde de ce concert une sensation d’inachevé. Comme si Salif, bleu et or, n’avait fait ici que l’esquisser, avant d’aller le jouer ailleurs. Et pourtant, tout y est. Tout y était. D’abord, l’artiste lui-même. Entier mais débonnaire. Heureux mais contenu. Prolixe mais ne se livrant jamais totalement. Certes, dans l’art du bonimenteur pour mettre tout le monde – et ce soir-là, il y en avait - dans sa petite poche de costume bleu et or, il n’a pas son pareil : « Ce soir, c’est mon anniversaire » s’exclame-t-il, histoire que le théâtre antique lui chantonne le doux refrain. Reste que, lors d’autres passages, le quinqua malien n’avait pas su trouver le ton, mais que ce soir-là, il a embarqué le Théâtre antique comme peu de marins savent le faire, lui laissant presque jouer le premier rôle. Elégance.

Salif Keita © P. Audoux/Vues sur Scènes

D’abord, il y a cette formation qui l’emmène ou qu’il emmène. On en connaît les contours : Roger Biwandu aux drums, Mike Clinton à la basse profonde, et surtout Mamadou Kone à la calebasse, Souleymane Doumbia aux percussions, Diely Moussa Kouyaté et, la « structure » Ousmane Kouyaté à la guitare. Ensuite, près de lui, deux danseuses - ses sœurs de lait nous dit-on, Maria et Marie-Line Marolany. Cette dernière, impossiblement inspirée, précise, hiératique, beaucoup plus danseuse que choriste, donne à la musique une dimension visuelle et spirituelle insoupçonnée. Ensuite et surtout, il y a le chanteur lui-même. Intemporel ambassadeur d’une musique chaleureuse, il sait éviter les clichés, sinon les redites, et mettre à notre portée une musique africaine plus perméable qu’on ne le pense. Dans ce petit voyage au long cours transcontinental, Salif Keita est comme un creuset unique d’où toute rencontre musicale sort gagnante. Entre les solos des uns, les racontars des autres, les billevisées du maître, l’apesanteur des danseuses, les refrains ânonnés par un Théâtre aux anges et un rappel du feu de dieu marqué par l’envahissement de la scène par un public sous le charme, le chanteur africain de Montreuil fait passer un courant rare. Plus que son anniversaire à longueur variable, esquisse d’éternité, la nouvelle affichée sur les écrans quelques instants avant son entrée en scène (la libération d’Ingrid Betancourt) a évidemment transfiguré cette soirée. Mais, c’est bien Keita qui sut donner à ce jour finissant ce ton jovial et recueilli, largement inédit.


3 juillet - Ornette Coleman, jusqu’au bout de son monde

Présenter à Vienne dans la même édition Sonny Rollins et Ornette Coleman, deux musiciens rares qui, chacun à leur façon, ont modelé et inspiré le jazz contemporain, n’est pas une moindre performance. Surtout lorsque ces rendez-vous sont donnés alors que le public n’est pas encore vraiment en vacances. Pas facile.

Ornette Coleman © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le premier à pénétrer sur la grande scène de Jazz à Vienne, est Ornette Coleman soi-même, attendu depuis quelques temps, et enfin là. Costume chamarré, japonisant ? En tout cas, d’une élégante gaieté. Le septuagénaire (78 ans) fait bien de se couvrir : la météo ce soir-là a décidé de répéter ici-même son prochain spectacle « hiver ». Conséquence sur les gradins : peu de monde s’est risqué hors de son igloo pour venir entendre la légende personnifiée. Dommage.
Ornette était annoncé avec trois basses ou contrebasses. Pour en faire quoi ? En fait, l’interrogation s’est interrompue d’entrée, le saxophoniste n’étant plus escorté que d’une contrebasse et d’une guitare à quatre cordes aux rôles attribués à l’avance. Evidemment, derrière Charnett Mack Moffet (de Scott La Faro à Charlie Haden en passant par beaucoup d’autres, le choix du contrebassiste demeure essentiel pour le musicien) aux drums : Coleman fils, sans surprise.
Ce qui se conçoit bien s’énonce brièvement ? Plutôt que ces longues suites de l’ère free, nécessaires pour laisser l’expression aller au bout de sa revendication, Ornette a, au contraire, distillé cette nuit-là des petites pièces, comme autant de chapitres d’un même livre qui trouverait sa cohérence à l’épilogue. Rien d’hermétique au passage : les pièces sont comme autant d’éclats qui scintillent rapidement dans la nuit avant de s’interrompre net. On savoure.

Pour l’heure, Ornette Coleman cède plus à une liberté musicale totale qu’aux seules résurgences du passé, en appelant à Bach ou à des musiques populaires enfouies. Mais s’il exhume, c’est pour mieux ciseler. D’où une fraîcheur qui emporte l’adhésion inattendue et soutenue du public. Le rappel, son rappel, constitue déjà un moment d’anthologie. Inquiétude du bonheur sur ce visage d’enfant paradoxalement buriné. Il s’aventure sur l’avant-scène, déambule douement, regarde d’un peu plus près ce public qui le choie et ne veut pas le quitter. Revient à l’esprit cet ultime regard, lunettes ôtées, de Miles Davis vers le public, à la fin de son dernier concert à Vienne. La fin d’un set a bien quelque chose d’un monde qui s’écroule.


7 juillet : les saveurs particulières d’une édition qui tire à sa fin

Outre Sonny Rollins, Jazz à Vienne a dévalé vers sa « All Night Jazz » en réunissant sous son vaste auvent Maria Schneider, John McLaughlin, Donald Brown, Chick Corea et Stanley Clarke. Rien de moins.

Un concert à repasser en boucle, à piocher, à digérer. Un concert plein de délicatesses, de jeux d’ombres et de lumières. Un concert légitimement attendu en raison du chemin bien particulier que suit Maria Schneider et du soin qu’elle prend à ne rien faire à moitié.

Maria Schneider © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le terme de concert prend ici tout son sens : mener à bien une vaste fresque dont la signification ne cesse de grandir au fur et à mesure que l’on approche de son terme. Et pourtant, que de passages peaufinés entre cette jeune femme - réservée malgré ses vastes bras, l’orchestre, attentif et discipliné et les solistes qui s’échangent l’avant-scène avec rapidité et sans avoir l’air d’y toucher. Et quels solistes : tour à tour Steve Wilson (sax), Rich Perry, Ingrid Jensen ou Scott Robinson entre autres, tous incisifs, apportent des traits de lumière qui éclairent le théâtre antique subjugué. Tout ici est pesé, soupesé. Jusqu’à l’accordéon de Toninho Ferragutti qui se glisse avec agilité au cœur de la formation, sans y toucher. Il faut impérativement tendre l’oreille pour en capter le plus possible !

Bref, ce concert, inattendu dans son intensité, n’a fait que confirmer toute l’originalité de Maria Schneider, lumineuse. Même si ses albums avaient « éventé » une large partie de ce qui fut joué ce soir-là, sur scène sa musique impose son caractère exploratoire, complexe et pourtant immédiatement saisissable. Un des plus beaux moments du festival.

McLaughlin, électro total et sans regrets

McLaughlin, lui, ne change pas. Qu’il s’agisse du sourire ou de la vélocité. Élégant à sa façon, il assure un set efficace, électro total, administré à huit mains. Oublié Shakti. Retour aux bonnes vieilles pulsations aussi massives que tranchées, sans la moindre nostalgie. Fusion j’ai connu, fusion je poursuis. Avec, tout de même, une décontraction nouvelle.

John McLaughlin © P. Audoux/Vues sur Scènes

Le démarrage se fait sur les chapeaux de roue comme s’il s’agissait de négocier le premier virage à la bouée. A la basse, Dominique di Piazza, appelé à remplacer Hadrien Féraud, a semblé hésiter sur la dose d’énergie à livrer avant de donner de bout en bout au guitariste surdoué la répartie qu’il attendait. Moyennant quoi, quelques morceaux plus tard, le groupe fonctionne façon siamois. C’est tour à tour rugueux, impétueux puis étrangement calme. Mais avec McLaughlin, l’apaisement ne dure jamais longtemps et l’on repart dans une chevauchée électro soudée. Le guitariste prend un plaisir visible à dévider ce set qu’il retenait depuis longtemps, quitte à se montrer trop bavard. Ce n’est pas nouveau. Cela prend quand même, malgré les aspects un peu systématiques, à mesure que l’on monte en puissance. Ces moments - rares - d’osmose réussie valent bien une attente patiente.

9 juillet : Donald Brown et Chick Corea, démonstrations faites

À l’inverse, Donald Brown, lui, limite ses effets et interventions - ce qui ne l’empêche pas de surprendre par sa précision mélodique. Il est ce soir-là en bonne compagnie puisqu’il effectue un pas de deux avec Bill Mobley, assisté d’un trio où domine le vibraphone de Steve Nelson. Volontiers intimiste, ce set est surtout l’occasion pour Mobley de disserter à loisir en décalage avec les sax de Jean Toussaint, précieux et constant. On retiendra ce final où Brown, trop discret tout de même, fit découvrir au Théâtre antique Walter Smith III et Ambrose Akinmusire, attendus le lendemain au Club de Minuit.

Donald Brown © P. Audoux/Vues sur Scènes

On termine avec Chick Corea. Le même, trente ans après, pour jouer une musique passée… résolument nouvelle : Return to Forever est propice à toutes les torsions du temps et le succès est garanti. Surtout lorsqu’on a pris soin d’entrer en scène précédé d’Al Di Meola, de Lenny White et du toujours tonique Stanley Clarke. Alors que les quatre compères saluent le Théâtre, avant de se lancer, Corea en profite pour prendre des photos du public en rafale (personne pour le lui interdire, ouf !) avant de gagner son poste de travail (quatre ou cinq claviers + un demi-queue).

Stanley Clarke © P. Audoux/Vues sur Scènes

On démarre électro. Deux morceaux sonores, avec en sus quelques régleurs de potentiomètres peu discrets qui vous transforment une scène festive en laborieuse salle d’opération. C’est honnête et carré. On passe ensuite à l’acoustique. De toute façon, même si Chick Corea - tous terrains - excelle, il se fait plus d’une fois voler la vedette par un Stanley Clark débridé, ravi d’être de retour à Vienne. Le flash-back orchestré séduit, développe avec une extrême facilité des compositions jazz-rock nées à une époque où le festival n’avait pas encore vu le jour. Vingt-cinq après sa venue ici-même, le bassiste assène avec brio les sonorités qui donnèrent, en leur temps, le sentiment que la basse voulait faire « table rase » de son propre monde. Revenu pour un rappel au terme d’un set qui ne devait en aucun cas déborder sur l’horaire, Chick Corea donna l’impression de renouer avec une expression plus spontanée. Comme il le dit lui-même, c’est vrai qu’on avait le temps. « Forever », même…


8 juillet - Le petit mystère Sonny Rollins

Qu’est-ce qui fait que le public, trois heures durant, suit, fasciné, l’emblématique ténor, quelles que soient les atmosphères qu’il aborde ? A deux ans d’intervalle, Sonny Rollins réussit, à Vienne, le même tour de force.

Sonny Rollins / Kobie Watkins © P. Audoux/Vues sur Scènes

On attendait Sonny Rollins. Ce fut Sonny Rollins. La silhouette un peu plus voûtée, la démarche toujours plus chaloupée. Mais pour le reste, en trois mesures, le vieux ténor sait installer dans le Théâtre antique rempli à ras bord (7 à 8 000 spectateurs) cette communion fervente assez inexpliquable qu’il sait susciter.

Flash-back de quelques secondes… A peine entre-t-il en scène, somptueuse chemise rouge flottante et pantalon blanc immaculé, que le public se lève et lui adresse une longue ovation. L’âge ? La conscience d’avoir devant soi l’un des derniers ? Plutôt l’hommage spontané à ce don de soi total qui le caractérise, et à cette musique barbare, sonore, quasi « marching band » qui se révèle à peine le départ donné.

Le concert de Vienne restera dans les mémoires. Parce qu’en près de trois heures de musique - dont on n’attendait rien de particulier sinon une fougue musicale attachante -, Rollins ne cesse de faire la démonstration que le jazz est une musique vivante, « respirante », voire haletante. Que le thème le plus éculé mérite toujours d’être revisité, pourvu qu’on ait envie de l’aborder. Et qu’à travers lui, et les impros des uns et des autres, se ruent et se transmettent ces mille émotions qui rendent chaque concert unique. Quelles que soient les redites, les boucles, les longueurs qui se jouent du temps qui file.

Premier set – puisque le sextet s’accordera un quart d’heure de répit - Sonny Rollins part bille en tête. Sax lourd, façon sirène de bateau, navigant au soleil couchant vers un voyage qui ne demande qu’à s’écrire. Autant dire que ses compères passent inaperçus tant les retrouvailles avec le ténor sont à la hauteur de l’attente. Lui, façon charmeur de serpent et de public. Il a tant à dire qu’il pratique, encore et toujours, l’échappée en solitaire. Esquissant des pas de danse alors que Clifton Anderson, le trombone de toujours, s’aventure dans un long solo à la sonorité proche du sax. Paradoxe. Il ne cesse de mettre en avant le quintet millimétré qui l’accompagne, et pourtant, le vieux sax occupe toute la scène, voire la déborde. Généreux pour les uns. Attentif pour les autres. Et de plus en plus présent au fur et à mesure qu’une nuit douce s’installe sur ce monde à part.

Plus le concert avance, plus Rollins se dévoile et plus les quatre autres prennent leur envol, révèlent leur vraie stature. Evidente pour Clifton Anderson, cette montée progressive va surtout prendre corps lors d’un second set assagi et serein. Au lieu des solos un peu longuets de la première partie, chacun va dévoiler la part qui lui revient. Ici, le plus séduisant a été Kobie Watkins aux drums, très appuyé en première partie et se mettant au contraire à marcher sur des œufs et à tisser, sous nos yeux, une véritable dentelle. Rollins a le chic pour être le premier public des musiciens qui l’accompagnent et qu’il associe étroitement tout au long du set : Bobby Broom (g), Bob Cranshaw (b), Kimati Dinizulu (perc). Le public ne perd pas une miette de ce concert précieux qui s’étire et se finit brutalement. Ovation. Le théâtre se réveille d’une longue quiétude. Trois heures, tout de même. Mémorables.


11 juillet - Claude Bolling n’a pas eu la fête qu’il méritait

La fidélité a guidé de bout en bout le bel hommage-souvenir rendu à Lionel Hampton par une formation impeccable

Claude Bolling Big Band au grand complet pour un hommage à Lionel Hampton avec le renfort de Dany Doriz au vibraphone. Moment rare et attendu : pas seulement pour le talent accumulé par chaque musiciens tout au long de sa carrière. Un big band de ce gabarit est une fête à part entière, d’autant plus lorsqu’il apparaît lors de la dernière nuit de Jazz à Vienne, venant ainsi certifier la qualité et la densité de cette édition.

Hélas. Il aura manqué cette nuit-là dix degrés au thermomètre, du soleil, et, ceci expliquant cela, près de 4 000 personnes dans les gradins. Pour la même raison (ou pour des questions de changement de plateau), les pupitres avaient été repoussés à l’arrière de la scène. Pas heureux. Ajouter enfin à cela le risque orageux permanent. Calamitas.
Le soleil est heureusement venu des compères (qui s’en sont donné à cœur joie au fil des thèmes annoncés par le chef), réunis par Bolling pour un hommage-souvenir à Lionel Hampton – né il y a cent ans - avec qui il a jouéet rejoué durant le demi-siècle écoulé (ainsi que nombre d’entre eux d’ailleurs).

Claude Bolling / Pierre Maingourd © P. Audoux/Vues sur Scènes

Hampton-Bolling, quintessence du swing. Le chaleureux vibraphoniste n’est plus là mais Dany Doriz, appelé sur scène au terme de quelques échauffements du big band, se coule admirablement dans les mailloches du showman inusable. Moyennant quoi, le concert fut somptueux comme seul sait l’administrer une formation aussi bien huilée. Respiration alternée des cuivres, attaques sèches et brutales comme il sied, solos ramassés par des musiciens allant à l’essentiel. Tour à tour, costume-cravate aux teintes mordorées, on retrouve quelques-uns des piliers du jazz français. Les trompettes Guy Bodet, Michel Delakian et Patrick Artero, les trombones André Paquinet, Benny Vasseur, Jean-Christophe Vilain et Philippe Henry. Et, aux sax, flûtes, clarinettes, bien sûr, Philippe Portejoie, Pierre Schirrer, Romain Mayoral, Claudio de Queiroz et Claude Tissendier. En droite ligne des Jazz Band Ball de la Mairie du Vème.
Pour être complet, Claude Bolling s’était adjoint les services de Faby Médina et de Marc Thomas au chant. Mais aussi, le temps d’un morceau, d’un copain américain de passage. Bref, tout y est, dûment rythmé par Pierre Maingourd à la basse, Vincent Cordelette (dms) et Jean-Paul Charlap dont la guitare aurait mérité d’être mieux amplifiée (comme le concert dans son enemble).

Bref, le set a tenu toutes ses promesses. La machine Bolling, parfaitement en place, se prend au jeu, attaque, poursuit, reprend, monte en régime, fait de la place au petit dernier durant quelques mesures, attend patiemment que le maître des lieux, toutes décorations dehors (comme si son vrai mérite n’était pas là, sur cette vaste scène), ait procédé à son petit sermon introductif et repart sur les chapeaux de roue ou de sourdine. Il fallait bien ça pour retenir sur des gradins détrempés un public frigorifié.

Auparavant, la soirée avait accueilli Jean-Pierre Bertrand, seul au piano, pour un « shuss » de boogie-woogie de fort bonne facture. Pas facile : il lui revenait de faire, rapidement et sans avoir l’air de rien, la transition entre Stacey Kent et Claude Bolling. Il allait revenir au milieu de la nuit, en trio, pour retenir les derniers noctambules.

Stacey Kent © P. Audoux/Vues sur Scènes

Avant lui donc, Jazz à Vienne accueillait pour la seconde fois Stacey Kent. La jeune femme a, depuis, fait du chemin, aime toujours autant son compagnon qui est aussi le compositeur et une partie de l’âme du groupe. Mais surtout, elle n’a rien perdu de cette fraîcheur attachante et communicative pour mener aisément un set bien rodé qui fait la part belle aux compositions poétiques. Attachée, nous explique-t-elle, à la langue française qu’elle tient à encenser, elle en appelle à Gainsbourg et à d’autres. (Voir son dernier disque avec « Ces petits riens » susurrés avec un charmant accent, ou « La saison des pluies ».) On peut être un peu déçu par la tournure « variété » qu’elle donne à son set alors qu’à ses côtés fonctionne un quartet discret mais de bonne facture. Mais, à l’entendre, la chanson et la poésie française sont si riches, et son désir de l’exprimer si profond, qu’il reste peu de place pour les élongations instrumentales.

Enfin, Paradox. C’est l’une des traditions bien ancrées de Jazz à Vienne (et pas la plus facile) que d’offrir au gagnant du concours « Rezzo » de l’édition précédente le soin d’ouvrir la dernière soirée. Paradox ayant remporté l’édition 2007, ses trois jeunes membres se risquent donc sur la grande scène devant 4 500 personnes encore mal remises de la pluie qui vient de cesser. De quoi perdre son élan, alors qu’ils attenient ce moment depuis un an.

Qu’on se rassure. Ça part en demi-teinte mais ça se termine en petite apothéose. Paradox, emmené par le saxophoniste Raphaël Dumont, joue un jazz réfléchi, ambitieux, plus perceptible en petit comité, où les attentes diluées jouent un rôle majeur, avant de laisser déborder l’énergie de l’ensemble. Mais le public s’est rapidement attaché à cette façon de faire, à ces sonorités guère éloignées de Gabarek et d’E.S.T., qui figurent sur l’album déjà sorti (récompense du concours). Au fil des thèmes, Paradox a su imposer son petit univers virevoltant, où chaque membre semble pousser l’autre dans ses retranchements. Ce qui engendre une progression plaisante qui voit, tour à tour, Nico Rajao (dms), Kenny Ruby (b) et Raphaël Dumont (sax) prendre les choses en mains.

Paradox © P. Audoux/Vues sur Scènes