Scènes

Jazz en Scènes 2008 : Toulouse

Dernier tango à Toulouse… 12 décembre 2008, salle Bleue de l’Espace Croix-Baragnon. Marc Démereau, Agusti Fernandez et François Merville rendaient hommage à Gato Barbieri. En première partie, Cédric Piromalli Trio. Jazz en Scènes à Toulouse prend des risques et on aime ça.


Dernier tango à Toulouse… 12 décembre 2008, salle Bleue de l’Espace Croix-Baragnon. Marc Démereau, Agusti Fernandez et François Merville rendaient hommage à Gato Barbieri. En première partie, Cédric Piromalli Trio. Jazz en Scènes à Toulouse prend des risques et on aime ça.

Elle est bien curieuse, cette salle Bleue. A l’entrée, on se croirait dans une MJC des années 1960 : hall impersonnel et vieillot, carrelage inhospitalier, escaliers anonymes. L’intérieur aussi est bizarre, avec ce plafond bas et ce pilier juste au milieu de l’avant-scène.

Investie par le festival Jazz en Scènes le 12 décembre, la salle Bleue a pourtant pris de sacrées couleurs.

Première partie : Cédric Piromalli Trio. Piano, contrebasse (Patrice Grente), batterie (William Guthrie), une configuration des plus classiques mais un set entièrement improvisé. Le trio peint un paysage mental fait de silences et de moments d’urgence, de tachycardies, de calmes inquiétants ou sereins. Trois parties - on devrait dire trois mouvements, comme dans un concerto. Les mouvements alternés, les rencontres de timbres et de sonorités - ou celle d’un parapluie et d’une machine à coudre sur une table de dissection - exposent une esthétique quasi cubiste. Les référentiels free, contemporain, jazz se mêlent. Le son existe avant tout pour lui-même, l’émotion est portée non par un discours mais par la matière sonore fouillée jusque dans ses recoins par les trois instrumentistes dans un jeu authentiquement collectif et un investissement physique incontestable.

Cédric Piromalli © Michel Laborde, Vues sur Scènes

Le second trio de la soirée n’a pas de contrebasse. Marc Démereau (saxophones, scie musicale) s’entoure de François Merville (batterie) et d’Agusti Fernandez (piano) pour une « Ode à Gato Barbieri » - le saxophoniste des années 60-70, pas le marchand de soupe smooth-jazz d’après. Démereau a l’air bien décidé, ces derniers temps, à cesser d’être simplement le « régional de l’étape », le saxophoniste toulousain de service. Au sein de ses différents projets actuels (en vrac : Le Tigre des Platanes, Cannibales et Vahinés, le présent trio), il prend une densité impressionnante et s’affirme comme un musicien à spectre large, avec lequel il faut compter ! Son goût pour les musiques - et probablement les résistances - populaires lui donne une affinité particulière avec Barbieri, mais il fait mieux que lui rendre hommage : il l’incarne. Pas de sax ténor sur scène mais un baryton râpeux, un alto charnel, plus une scie musicale et un tuyau de PVC en guise de flûte amérindienne… et cette même vitalité incandescente qui faisait du « Chat » le « Che » du free jazz.

La batterie de Merville est une boutique étrange où l’on trouve de tout : toms, certes, et cymbales, mais aussi moules à gâteaux, sachets de bonbons, fouet à pâtisserie… « Hermetique » au sens pascoalien du terme, il tape sur tout ce qui bouge et même ce qui ne bouge pas : le piano de Fernandez, un pied de micro. Polyrythmies diaboliques, et cette façon bien à lui de désarticuler les métriques sans bouger de la pulsation. Ça se danse presque. Ça se danserait même tout à fait, par moments, n’était le manque de place dans la salle.

Agustí Fernández, Marc Démereau, François Merville © Michel Laborde, Vues sur Scènes

Quant à Agusti Fernandez, il semble considérer la musique comme l’art suprême de la contradiction. Capable d’instiller en une note l’inquiétude dans l’accord majeur le plus pépère, l’ombre d’un fou-rire au milieu des grandiloquences, il est incroyablement plastique et fait preuve d’un humour subtil et décalé. Il a le sens de la mélodie belle et pas mièvre (si vous n’avez pas écouté son CD Aurora, courez-y, sinon reprenez-le !) et celui de la percussion fracassante, un talent harmonique indéniable et un goût pour le silence qui rend plus vive encore la lumière de la musique.

De « Candomble » à « Escalator Over The Hill » en passant par les incontournables « Bolivia » et « Dernier tango à Paris », l’hommage était vibrant et vivant : entre les mains des trois musiciens, le Chat reprend beau poil et ronronne, toutes griffes dehors : on aurait juste aimé que ça dure un peu plus longtemps…

par Diane Gastellu // Publié le 12 janvier 2009
P.-S. :

« Sur les genoux du Chat », ode à Gato Barbieri, est une co-production D’Jazz à Nevers, Europa Jazz au Mans, Banlieues Bleues et Jazzèbre.