Scènes

Jazz in Arles 2008

L’association arlésienne du Méjan accueillait du 13 au 17 mai la 13ème édition du festival de jazz.


Alors qu’Alechinsky sur Rhône tient le haut du pavé avec une grande rétrospective de son activité d’affichiste à l’Espace Van Gogh, Arles se prépare pour La Nuit des Musées et l’inauguration d’une exposition au Musée de la photographie, métamorphosé à l’occasion par l’enfant du pays, le couturier Christian Lacroix. Si 2008 est l’année Lacroix à Arles, l’association du Méjan, jouxtant Actes Sud, accueille la 13ème édition du festival de jazz (directeur artistique Jean Paul Ricard) du 13 au 17 mai.

Le festival du Méjan poursuit cette année sa thématique autour du piano, dans tous ses états et tous ses reflets. Cette nouvelle édition, plutôt réussie, a vu la fréquentation en augmentation. C’est qu’un important travail de sensibilisation prépare le terrain depuis de nombreuses années, attirant un nouveau public en plus de la fidélisation des abonnés de l’association. Ceux-ci assistent tout le long de l’année aux concerts classiques, aux lectures du Méjan d’Actes Sud et, pour les non initiés, se laissent tenter par le programme jazz. Augmentation du public avec, ce qui n’est pas désagréable, un meilleur étalement sur l’ensemble des cinq soirées.

Bojan Z © H. Collon/Vues sur Scènes

Quant aux concerts : éclatant avec le duo de Bojan Z. et Julien Lourau en ouverture de festival, poétique et sec jusqu’à l’épure avec le méconnu Ben Aronov que J.-P. Ricard a retrouvé au cœur du Vaucluse, moderne et « régional » avec le jeune Philippe Le Baraillec qui signera bientôt un album sur le label de l’AJMI, et enfin festif, pour le final réunissant Michel Portal et Jacky Terrasson, un duo à l’énergie virtuose et communicative.

A en juger par l’applaudimètre (et l’affluence) - on s’en doutait un peu - sont à retenir, comme temps forts, les deux duos : les (plus) jeunes remplissent pour Bojan Z / Julien Lourau et la salle est comble (400 personnes environ) pour Portal /Terrasson. Jean-Paul Ricard avoue avoir été très sensible à l’émotion de ce dernier concert. Il nous confiait avoir vu le clarinettiste français et le pianiste franco-américain préparer et réussir un bel échange en effectuant un travail remarquable sur le son et l’acoustique du lieu.

L’ancienne chapelle baroque du Méjan (transformée - on l’a déjà présentée lors des éditions précédentes - en coopérative du syndicat des éleveurs de mérinos au XIXème siècle) est un lieu unique au charme indiscutable. Cette année, l’association poursuivait son exploration plastique en accrochant des toiles de Jean-Paul Chambas, peintre scénographe (pour la Comédie Française et l’Opéra) qui a choisi de se réapproprier l’iconographie du Français Rimbaud, de l’Anglais Malcolm Lowry (Au-dessous du volcan) et de l’inventeur de la corrida moderne, Manolete. Il est clair que le basque Michel Portal ne pouvait qu’être sensible aux regards croisés de Manolete et de Chambas… alors que l’on retrouve aussi sur les cimaises, un dessin représentant un Charlie Parker au regard éperdu et troublant. Retour au jazz.

M. Portal © J. Knaepen/Vues sur Scènes

A côté des valeurs sûres, des capitaines au long cours bardés de médailles en ouverture et fin de festival, il y eut aussi un beau concert, accueilli favorablement par le public, celui du trio de Philippe Le Baraillec. Ce musicien qui vit non loin d’Aix-en-Provence, a publié deux albums Echoes from My Room [1] et Moon Ïuice [2], travaillé dans des univers très différents, flirté avec l’électro-jazz et réalisé des musiques de films. Ses compositions, plus qu’intéressantes, se développent avec une belle dynamique (ruptures, changements de tempo, extrême précision de l’interprétation, lyrisme et sensibilité). En prime, pour la « soirée du Méjan », une belle relecture de « Blue in Green ». Excellent prélude, espérons-le, à l’enregistrement qui sera réalisé les 25 et 26 juin au studio de La Buissonne (Avignon), sous la baguette de Gérard de Haro. Pour l’occasion, signalons le changement de personnel : le pianiste sera en compagnie de Mauro Gargano (contrebasse) et d’Ichiro ONOE (batterie).

Quant à Ben Aronov, qui jouait le mercredi soir, il représente une certaine tradition du piano jazz dont il a connu les différents styles. Il a tourné avec les plus grands, et pour ne citer que ses débuts, avec l’original « Lighthouse All Stars » de la West Coast. Il pratique parfois une musique anguleuse, comme mal assurée, sans mièvrerie ni emphase sur des thèmes qui le permettraient pourtant. Commençant par une des références du jazz classique, le compositeur Billy Strayhorn, alter ego du Duke, il nous permet de revoir le répertoire. Puis surgit le thème que Jack Teagarden immortalisa « I’ve Got the Right to Sing the Blues » mais aussi « Lost in the Stars » une très belle mélodie, moins connue, signée Kurt Weill. Aronov garde un rythme soutenu, sans pathos, même sur les ballades, comme le mélancolique « Speak Low », un des grands « tubes » de Weill. Un solo est toujours une épreuve, on ne sait pas vraiment ce qui va advenir, comment la musique jaillit. Ben Aronov tire le fil, dévidant l’écheveau de sa mémoire, et sous ses doigts, renaissent les réflexes et la musique. Un lumineux « Confirmation », thème immortel de Charlie Parker, est revisité, très simplement, comme désossé, et en rappel : « All the Things You Are… » un des plus beaux standards, qui aurait pu s’inscrire dans une des anciennes émissions radio d’Arnaud Merlin, la bien nommée « Suivez le thème ».

Avec cette nouvelle édition de Jazz in Arles, saluons une fois encore l’effort de longue haleine fourni pour (re)conquérir le public. La musique de jazz doit garder une place dans le cœur de tous, et pas seulement dans les phalanges des spécialistes. Elle est de celles qui luttent contre les modes, le conditionnement intellectuel et mental, la récupération économique ou politique. La programmation du Méjan est de celles qui font honneur aux festivals. Les fidèles de la manifestation ne s’y trompent pas : s’ils apprécient, à l’occasion, des prestations de grande qualité — mais attendues, voire déjà entendues — ils ne sont pas insensibles à la musique qui leur est véritablement proposée sans argument économique, qui tente le renouvellement, ose ne pas chercher la facilité, relevève et prolonge comme par « vagues » les exemples passés…

par Sophie Chambon // Publié le 9 juin 2008
P.-S. :



NB : Un des intérêts supplémentaires de Jazz in Arles est la volonté pédagogique d’intégrer un stage de culture musicale pour bibliothécaires et documentalistes. Sont proposé des thèmes très instructifs (ex : Le Jazz « mainstream » aujourd’hui, les métiers du jazz…), concourant à une réflexion pertinente avec des écoutes spécialisées. Il est de plus en plus urgent d’« éduquer » les « passeurs », d’initier les intermédiaires travaillant dans ce secteur professionnel.

J. Terrasson © J. Knaepen/Vues sur Scènes

[1Owl Records/EMI

[2Plein Gaz/Pias