Scènes

Jazz nomades 2008 (2)

Jeudi 12 juin. Théâtre des Bouffes du Nord.


Dernier étage de la magnifique salle des Bouffes du Nord, pleine à craquer, pour la dernière soirée du festival « Jazz nomades - La voix est libre », édition 2008. Bobos-intellos-artistes-cools et autres se bousculent pour ce spectacle qui mêle théâtre et free jazz dans un lieu magique.

Le présentateur annonce d’emblée une modification dans le programme : pour des raisons logistiques, la saynète à la guitare, prévue au début, passera donc au milieu. C’est ainsi que saxophone (Alexandre Authelin), contrebasse (Elise Dabrovski) et batterie (Emiliano Turi) entrent en scène, suivis par Phil Minton qui, la cinquantaine bien entamée, polo à rayures, s’installe tranquillement devant un micro, sur une chaise et dispose sa bouteille d’eau ; tout d’un coup, tandis que les instruments se mettent en branle dans un silence attentif, des sons gutturaux surgissent de nulle part, des onomatopées, des bribes de chant, des cris d’oiseaux… Cet homme est un véritable concert à lui tout seul ! Au scatteur fou s’ajoute la voix mélodieuse et puissante de la contrebassiste, puis la quincaillerie d’Emiliano Turi : chaînes de vélo et disques compacts frottent contre la grosse caisse ; parfois on aperçoit une baguette ou deux. Intervient enfin le saxophoniste et clarinettiste - le groupe IXO est au complet. Les quatre musiciens se lancent dans une folle improvisation [1] Les sons se heurtent, s’entrechoquent et se mêlent ; l’expérience sonore la plus brute côtoie la plus grande harmonie lorsque la contrebassiste se met à chanter d’une belle voix de cantatrice. Chants d’oiseaux, raclements métalliques, lignes cuivrées…

A la fin du premier morceau, on annonce Médéric Collignon, « ze guest of ze night ». Il apporte avec lui toutes sortes de bizarreries : des sifflets, une trompette en plastique [2]… Malheureusement « l’acrobate vocal » [3] ne s’insère pas toujours très bien au sein du groupe. Le duo de voix avec Minton ne fonctionne pas idéalement, et on a parfois l’impression qu’il tombe comme un cheveu sur la soupe. Mais on a toujours autant de plaisir à le voir improviser avec ses objets farfelus, et remplir l’espace de bonne humeur et de drôlerie.

Petit entracte de 15 minutes, puis le quintet cède la place à deux improvisateurs : Jean-François Pauvros à la guitare électrique et Lazare aux « Drames instantanés » [4]. Dès les lumières éteintes, ce jeune homme à chapeau surgit dans le public en disant des textes à la tonalité comique teintée de mélancolie, appuyés par une guitare torturée et sinueuse et par des douches lumineuses qui créent une ambiance particulière, intimiste, complice. Du théâtre ? Non, plutôt une performance scénique, un instant de jeu, le jeu du corps, de la guitare, du corps face à la guitare. Médéric Collignon déjà utilisait tut à l’heure son corps comme un instrument, un lieu de création d’où partent les intuitions qui guident l’invention. Phil Minton également, et tous les autres… Voilà d’où part, d’où parle la musique : de nos entrailles…

Cette fois-ci, pas d’entracte, juste quelques minutes de lumière, le temps qu’on installe la table de mixage de Maya Ratjke et la contrebasse de Joëlle Léandre. La Norvégienne « ouvre grand ses valises pleines de magie électronique et de chants mystérieux », accompagnée par les doigts et l’archet de la Française. Les deux femmes nouent sur scène, pour leur premier duo, une relation musicale qui pourrait être taxée de minimaliste, mais qui est surtout faite d’écoute et de recherche. Tandis que Ratjke instrumentalise sa voix, Léandre improvise des textes prononcés de manière discrète mais ferme sur fond d’expériences électroniques qui ne ressemblent jamais à un « beat », mais bien plutôt à des bulles. La contrebassiste caresse son instrument, le maltraite à l’occasion, et peut parfois être - littéralement - aux prises avec sa lui, mais toujours avec chaleur, presque avec sensualité.

Le jazz, la musique électronique, contemporaine, improvisée, expérimentale… est toujours incarnée. L’improvisation réfute en son fondement la séparation du spirituel et du corporel, « l’improvisation, c’est aller vers l’inconnu, se défaire de tous ses réflexes, de tout son savoir, et être surpris par soi-même. Ainsi nous faisons de la musique sans bornes ni frontières, qu’elles qu’elles soient. Notre partition, c’est l’individu en face de nous, notre partition, c’est nous. » [5].