Scènes

Jazzdor Strasbourg-Berlin 2019

L’édition 2019 du festival est plus que jamais européenne.


Jazzdor, la SMAC Jazz de Strasbourg, dirigée par Philippe Ochem, propose chaque année quatre jours de concerts dans la capitale allemande, dans la salle de concert Kesselhaus, au centre de la Kultur Brauerei.

Dans cette petite salle de musiques actuelles où se déroulent régulièrement des concerts plutôt rock, la programmation inventée par Philippe Ochem fait la part belle aux musicien.ne.s français.es et, parce que l’AJC l’encourage, les professionnel.le.s du jazz (programmateur.trice.s, journalistes, agents) sont présent.e.s et s’y rencontrent.

Ce n’est donc pas tant les concerts, mais plutôt le rôle de ce festival qui a de l’importance : une vitrine pour le jazz français. Cependant, le paradoxe vient du fait que la plupart des musicien.ne.s européen.ne.s constatent la difficulté d’être programmé sur les scènes françaises alors que l’inverse n’est pas si compliqué. C’est d’ailleurs le sujet de la table ronde organisée par la région Grand Est et Jazzdor sur la réalité et les perspectives d’un espace artistique européen. Un échange intéressant entre professionnel.le.s qui met bien en exergue la problématique d’un cloisonnement plus ou moins subi entre les pays concernés. Il y a des avancées, et la vitrine que constitue Jazzdor Berlin en fait partie, tout comme le travail d’information sur les musicien.ne.s européen.ne.s que fait Citizen Jazz chaque semaine. Les échanges informels entre les invité.e.s permettent aussi de construire des ponts entre les pays. C’est un bon début.

Benoit Delbecq par Michel Laborde

Concernant la musique, le festival a ouvert avec le trio de la flûtiste Naïssam Jalal, un concert plutôt plat sur le plan dynamique, mais heureusement illuminé par les interventions toujours aussi à propos du contrebassiste Claude Tchamitchian. Ensuite, le projet Unbroken, emmené par le violoniste Régis Huby, a prolongé la soirée par une proposition peu claire et fouillis. Le trio de cordes au premier plan (Huby, Vincent Courtois au violoncelle et Guillaume Roy à l’alto) semblait attendre un bus (qui ne viendra pas…). Les trois autres musiciens étaient relégués au second plan et leurs interventions n’avaient pas le sens qu’on attendait.

Le deuxième soir, un enchaînement rapide de trois concerts a permis d’entendre des propositions diverses et contrastées. Le duo Butter in my Brain, formé par Claudia Solal et Benjamin Moussay était prévu, mais le pianiste étant absent, c’est Benoît Delbecq qui accompagne la chanteuse. Un duo évident, puisque ces deux-là jouent ensemble depuis des années. On apprécie l’inventivité et la musicalité de Delbecq qui surprend encore, toujours. Après cette délicate entrée en matière, c’est le quartet du contrebassiste Miles Perkin qui enchaîne avec une musique cohérente et colorée. Jim Black, le régional de l’étape, à la batterie crochète mille feux aux cliquetis du piano de Benoît Delbecq (dont c’était l’anniversaire, qui plus est) tandis que le trompettiste Tom Arthurs répondait avec finesse aux tracés mélodique de la contrebasse. Une belle musique, assurément. La soirée se termine avec une création montée par le festival qui rassemble le saxophoniste ténor allemand Philipp Gropper (dont on reparlera très bientôt), la chanteuse norvégienne Natalie Sandtorv, le batteur allemand (de plus en plus sollicité) Moritz Baumgärtner et la pianiste française Ève Risser, qui jouera le surlendemain avec le trio En Corps.

Edward Perraud par Michel Laborde

Extradiversion ouvre la troisième soirée. C’est le nom de la seconde création initiée par Jazzdor, qui rassemble deux musicien.ne.s allemand.e.s : le pianiste Florian Weber et la saxophoniste Anna-Lena Schnabel et deux musiciens français : le batteur Edward Perraud et le contrebassiste Joachim Florent. Quelques heures de répétitions seulement ont néanmoins permis à ces quatre personnes de s’entendre et de s’écouter. Les thèmes sont apportés par les uns et les autres, le mélange fonctionne et l’entente est palpable. Le concert est l’occasion d’entendre plus précisément la saxophoniste allemande, désormais membre de l’Orchestre National de Jazz et dont le jeu énergique est rafraîchissant. La soirée se poursuit avec le quartet du clarinettiste Jean-Marc Foltz, Wild Beasts, avec une musique plus écrite, plus aérienne aussi. Le contrebassiste Sébastien Boisseau est à la manœuvre pour ancrer le propos. C’est House of Echo, un groupe soutenu par le programme Jazz Migration, qui clôt la soirée. La musique de ce quartet s’étire comme une lente mélopée qui remplit l’espace de sons acidulés. Enzo Carniel au clavier et Simon Tailleu à la contrebasse font montre d’une grande intelligence musicale.

Anna-Lena Schnabel par Michel Laborde

Le dernier soir, on découvre le tout nouvel ONJ dirigé par Fred Maurin et son programme autour de la musique d’Ornette Coleman « Dancing in Your Head(s) ». Le grand orchestre est un peu tassé sur la petite scène et la salle brute (ancienne salle des machines de la brasserie) n’aide pas pour le son. La musique est très écrite, permanente, touffue et la rythmique joue continuellement. On sent le potentiel de cet ensemble, notamment par la diversité et la qualité de ses membres, mais il faut laisser l’air circuler, sinon on étouffe. Après cette cavalcade, le trio En Corps composé d’Ève Risser au piano, de Benjamin Duboc à la contrebasse et du batteur Edward Perraud, investit la scène avec une proposition tout en finesse, plus organique que les précédents répertoires, mais tout aussi magique. Espérons que ce groupe puisse continuer encore longtemps à explorer ces chemins-là. Enfin, un autre groupe lauréat de Jazz Migration clôt la soirée et le festival en proposant un voyage vocal autour du monde. No Tongues est le groupe parfait pour finir en douceur et en poésie ce festival court mais intense : leur musique hypnotique porte le regard loin, au-delà des frontières.

Ce festival qui se tient dans la capitale allemande est une très bonne vitrine pour présenter les groupes français et initier des collaborations inédites. L’équipe de Jazzdor est très présente pour en assurer le déroulement et les rencontres qu’on fait à Berlin sont autant de points d’accroche pour tisser les liens. On reviendra sur la scène berlinoise dans le dossier qui sera prochainement consacré au jazz allemand.