Scènes

Jazzdor, le feuilleton citoyen (3)

Quatrième et dernier jour du festival Jazzdor, ou le triomphe de l’ONJ.


Quatrième et dernier jour du festival Jazzdor, ou le triomphe de l’ONJ.

Cette semaine s’est terminé le festival Jazzdor, qui propose au public berlinois un formidable panorama de ce qui se fait en France dans le jazz et les musiques improvisées, à la Kesselhaus de la Kulturbrauerei, pendant quatre jours. Quatre jours ? Mais c’est quatre semaines qu’il faudrait pour se faire une idée de la diversité et de la richesse des propositions ! Vendredi encore, nous en sommes ressortis des images plein la tête.

En première partie, Jozef Dumoulin a présenté son nouveau trio avec Ellery Eskelin et Dan Weiss qui, malgré le talent indéniable de ses membres respectifs, n’a pas « décollé ». Tous les trois assis, absorbés par leurs instruments et partitions, pratiquement sans se regarder, ils ont joué une musique aérienne et éclatée mais froide et vide de sensations. Le très beau son de Rhodes de Jozef Dumoulin n’a pas suffi à y insuffler de la vie.

C’est l’Orchestre National de Jazz Olivier Benoit qui a fait un carton ce soir-là, avec la suite Paris, qui dure un peu plus d’une heure. Théo Ceccaldi, Alexandra Grimal, Bruno Chevillon, Éric Echampard et Olivier Benoit lui-même, déjà présents depuis plusieurs jours au festival, en ont retrouvé les autres membres, les premiers exemplaires du disque en main [1]. C’est leur troisième concert « et demi » — celui donné pour l’ouverture du Carreau du Temple à Paris, où ils sont en résidence, n’était en effet qu’un extrait de la suite — et ils ont le trac.

Dès les premières mesures, le son d’orchestre est déjà là. Cet ONJ est une bourrasque sonore qui emporte tout sur son passage. Le guitariste a emprunté au rock son énergie et une certaine puissance de frappe, et au jazz sa faculté de marier les hétérogénéités. On sent qu’il a écrit en fonction la personnalité de chaque musicien - il a d’ailleurs passé beaucoup de temps à constituer l’orchestre. Ce sont tous en quelque sorte des « hyper-musiciens », extrêmement doués, présents sur plusieurs fronts et, en même temps, suffisamment affirmés individuellement pour former une boule à facettes dont les couleurs sont révélées par les compositions d’Olivier Benoit.

Une heure de musique se déploie devant nous, une heure de tension maîtrisée, de relâchement calculé, de prise/déprise sur le temps qui s’écoule. Ce temps est découpé, mesuré, re-dessiné en un système architectural total où de nombreux niveaux, planchers, voix se croisent, se chevauchent, s’interpénètrent. La musique est très (trop ?) carrée, ce qui la rend paradoxalement vulnérable : ébloui et vidé, on est en demande d’aérations, de lignes de fuite. Ces dernières sont apportées en partie par les solos, notamment ceux de Fabrice Martinez et Sophie Agnel, deux moments de grâce, remarquables de finesse et de poésie, suspendus au-dessus du fil collectif de l’orchestre. Ou, comme dirait Philippe Ochem, directeur de ce bien beau festival : « Oui, il y a de la musique là-dedans ! ».