Scènes

Jazzèbre : un festival souriant

26e Festival Jazzèbre à Perpignan


À l’image de son directeur, Jazzèbre est un festival souriant, très varié dans ses lieux, sa programmation et ses parcours, et néanmoins très audacieux sur le plan artistique. Coup d’œil sur l’édition qui vient de s’achever.

Jazzèbre s’est tenu à Perpignan, mais aussi dans l’ensemble des Pyrénées-Orientales, et même dans l’Aude, du 27 septembre au 19 octobre derniers. Ce « rendez-vous jazz et musiques du monde » est conforme à ce qu’on attend d’un festival orienté Association Jazzé-Croisé [1] aujourd’hui, mais avec sa note particulière, faite de diversité de propositions et de lieux. Le tout avec une tonalité que je qualifie de « souriante », à l’image de son directeur Yann Causse, qui cherche toujours à associer la qualité musicale la plus élevée à une manière de l’installer qui la rende agréable. Une façon bien à lui d’incarner le désir d’apporter au plus grand nombre les formes d’art les plus hautes sans jamais les éloigner du public. En définitive, il peut donc présenter Jazzèbre comme un « îlot de résistance », misant à la fois sur « la présence d’artistes confirmés et de jeunes talents » mais aussi sur la multiplicité des portes d’entrée, « piques-niques musicaux, concerts à tout petits prix, soirées festives, musiques du monde (…) avec un maître mot, l’authenticité du discours ».

Théo Ceccaldi Trio © Michel Laborde

En amont de la manifestation proprement dite, des « Rencontres documentaires » se sont tenues à la Médiathèque de Perpignan (du 24 au 27 septembre), et des ateliers pédagogiques ont été mis en place pendant la durée du festival. Quant à la fanfare du festival, doublement dirigée par Daniel Malavergne et Alexander Calvo, elle s’est produite de nombreuses fois, notamment pour la journée finale du 12 octobre sur les allées Maillol. Au-delà de ses qualités musicales, elle donne l’exemple d’une aventure humaine précieuse. L’ouverture officielle s’est tenue en deux endroits, à Céret avec le duo de Florent Pujuila (b-cl, anches) et Bruno Chevillon (b), et à Perpignan, à la Casa Musicale, avec le Magnétic Ensemble. Dès le lendemain, c’était une randonnée cycliste dans Perpignan, accompagnée en musique par le trio Jerez Le Cam (piano, violon, bandonéon). Jazzèbre était ensuite à l’hôpital (Puja Trio le 2 octobre à Thuir), et au théâtre de l’Archipel le 3 octobre avec une star de la trompette (en douceur ou en diablerie), Paolo Fresu.

Pique-nique encore à Opoul-Périllos le 5 octobre, et un concert acoustique d’une grande formation régionale le Bolden Buddies Lil’Big Band. Deux jours plus tard, c’est l’Université qui accueillait le très exceptionnel duo que forment deux jeunes femmes Rafaëlle Rinaudo (harpe) et Fanny Lasfargues (b), avec des propositions à la fois d’une grande inventivité et d’un abord tout à fait évident. Et renversant. Dans la foulée, Jazzèbre a été au cinéma avec deux films (Zicocratie, sur le MegaOctet d’Andy Emler, et Prova d’Orchestra de Fellini), avant de profiter de la présence d’Andy pour le faire jouer avec Thomas de Pourquery (as), les deux compères étant suivis d’un quartet avec Ablaye Cissoko (voix, kora) Simon Goubert (dm), Jean-Philippe Viret (b) et Sophia Domancich (p). Le théâtre municipal en vibre encore…

Michael Wollny Vincent Peirani © Michel Laborde

Véritable artiste « fil rouge » du festival, Thomas de Pourquery s’est produit dans le même théâtre le 10 octobre avec son groupe Supersonic, voué à la musique de Sun Ra. Précédé par Omar Sosa en duo et par la révélation que constitue le duo Petite Vengeance, il a magnifiquement mis un point d’orgue à une riche soirée. Preuve - s’il en est besoin encore - de la diversité des lieux et des actions, c’est dans la cadre des vendanges que Leïla Martial a présenté son Baa Box le 11 octobre à Alenya (Caves Ecoiffier). Lauréate de Jazz Migration cette année, elle a fait entendre un peu partout en Europe son quartet actuel, et la musique à la fois engagée, plein de groove, mais également propice à l’improvisation, qui est la sienne aujourd’hui. Le 11 octobre, c’est le théâtre de l’Archipel à Perpignan qui avait l’honneur de recevoir Melingo, chanteur et clarinettiste argentin, sorte de Paolo Conte des mers du Sud mâtiné de Tom Waits, qui s’était déjà fait connaître dans le cadre du projet « espagnol » de David Murray.

Courvoisier Feldman Quartet © Michel Laborde

Et l’on atteignait doucement la dernière partie du festival, qui devait se dérouler presque entièrement au théâtre municipal. D’abord pour une soirée de charme et de création, avec le duo Sylvain Luc et Daniel Mille pour l’un, et l’Occidentale dirigée et retraversée par Claude Barthélémy pour l’autre. Le lendemain, peut-être la plus belle série de concerts du festival : en quelques heures, la fougue créative du Théo Ceccaldi trio, puis la renversante surprise d’un duo qui n’était pas annoncé comme tel, Vincent Peirani et Michael Wollny, avant la confirmation du talent de Sylvie Courvoisier (p) et de Mark Feldman (vln), venus de Brooklyn pour une grande tournée en Europe qui commençait chez nous.

Apothéose et fête populaire le dimanche 19 octobre. Sous un soleil encore radieux, la Suisse (déjà présente la veille au soir avec Orioxy, au château Prat de Cest dans l’Aude) a de nouveau fait la preuve de son habituel humour à propos d’elle-même avec un chanteur - beat boxer hors catégorie, Andreas Schaerer. Sous le nom de Hildegard Lernt Fliegen (Hildegarde apprend à voler), son sextet fait entendre une musique évidente et raffinée qui a mis de très bonne humeur les nombreux participants à ce pique-nique final, accompagné évidemment de la Fanfare du Festival.

Yaël Miller Julie Campiche Manu Hagmann © Michel Laborde

par Philippe Méziat // Publié le 3 novembre 2014

[1Ex AFIJMA, association dont le cahier des charges suggère des actions précises, orientées dans le sens de l’innovation artistique et de la rencontre avec les publics.