Chronique

Jean-Brice Godet Quartet

Mujô

Label / Distribution : FOU Records

Féru de musiques improvisées et praticien patenté (on se rappelle sa participation au brutal Cuir, déjà sur Fou Records), Jean-Brice Godet a reçu les enseignements de Fred Frith et collabore avec Joëlle Léandre (on le retrouve d’ailleurs au sein de son tentet). Membre et leader de plusieurs formations qui participent de ces esthétiques, c’est pourtant avec un jazz qui rappelle l’esprit avant-gardiste des années 60 qu’il revient aujourd’hui. Enregistré à Brooklyn, accompagné de musiciens aux nationalités cosmopolites (Italie, Allemagne et Israël) mais vivant aux Etats-Unis, ce quartet honore les racines de cette musique sur ses terres natales sans pour autant tomber dans la sclérose.

Dès l’ouverture, en effet, le saxophone de Michaël Attias, soutenu par la clarinette obstinée du leader, évoque en quelques phrases d’une grande douceur le Coltrane du début sixties par un chant modal langoureusement plaintif, tandis que les grands intervalles de Godet, résolus en phrases complexes mais néanmoins lisibles, font bien souvent songer à Eric Dolphy (notamment sur “La Voix des Cendres”). Rappelant, en effet, cette époque où les dynamiques de jeu permettaient d’ouvrir des mondes où tous les possibles étaient envisagés, les deux soufflants travaillent l’espace de cris soudains aussi saisissants que parfaitement assumés avant de retourner à des climats plus diffus proches du silence.

Car Mujô ne se contente pas d’un hommage ; jouer de l’attente induit chez lui de nouvelles énergies. Il séduit, en effet, par son rapport sensuel au temps (lire les éclairantes notes de pochette) dont il s’empare au point de s’en faire un allié. Tour à tour, capables de déclencher des tumultes collectifs (la basse constamment en mouvement de Pascal Niggenkemper y excelle) suivis de moments minimalistes et suggestifs circonscrits par les liserés des cymbales de Carlo Costa, ces quatre musiciens valorisent la circulation de la musique (il n’y a qu’à écouter les passages de relais du saxophone à la clarinette). Que ce soit dans la « Ballade suspendue » qui évite tout effet de « tristesse » ou dans quelques thèmes plus inquiétants (« Werde ich Dir einmal begegnen ? »), ils refusent toute pression et toute pose au bénéfice d’une souple décontraction. Beaucoup de douceur ressort, au final, de ce disque où même les passages tendus ou abstraits se dessinent toujours avec une grande clarté.