Chronique

Jean-Jaques Birgé

Le Centenaire de Jean-Jacques Birgé

Label / Distribution : GRRR

Pour fêter ses cent ans lorsqu’on en n’a que soixante-cinq, il faut être franchement en avance sur son temps ; qu’à cela ne tienne, Jean-Jacques Birgé [1] cultive ce talent avec une constance qui traverse les époques, que ce soit dans l’utilisation des instruments électroniques où l’usage de l’image et de la scénarisation dans la musique, improvisée ou non. Les mois précédents avaient connu plusieurs rééditions de disques de Birgé avec l’orchestre Un Drame Musical Instantané en compagnie du trompettiste Bernard Vitet et du guitariste Francis Gorgé, notamment le fondateur Rideau ! ou encore À travail égal, salaire égal. On découvre d’ailleurs dans cet album des citations, des présences ou des ombres de cette aventure musicale qui infuse toute la carrière de cet artiste indépendant, comme il aime à se définir. Des sonorisations sauvages dans une salle de jeu où l’on tente de dominer le hasard, aux hybridations entre samples aléatoires de radio et échappées du violoncelle de Didier Petit dans un maelstrom de circuits imprimés dans « Les Années 70 », Centenaire est une optique à double sens. A la fois rétroviseur et télescope dont les lentilles s’échangent joyeusement, l’appareil semble conçu pour Birgé qui nous tient par la main dans ce voyage temporel.

C’est un rude exercice que l’autofiction. Jean-Jacques Birgé (JJB) s’y prête avec une certaine grâce, se servant de sa propre histoire pour regarder plus loin et raconter le siècle des babyboomers, leurs espoirs et leurs luttes, mais aussi leurs responsabilités et leurs échecs, notamment écologiques, puisque l’aspect politique n’est jamais loin. On connaît pas mal de choses de l’enfance du compositeur, qu’il a racontée dans son exercice bloguesque quotidien. On le sait, notamment parce qu’il propose gratuitement pléthore d’enregistrements sur son site drame.org, JJB est un musicien documentariste qui sait également se faire documentaliste. Ainsi, on s’imprègne de ses impressions d’enfance dans le roboratif « Les années 60 » aux côtés de Vincent Ségal et Cyril Atef. Avec mai 68 comme décor, ce morceau est une suggestion, un climat où la guitare d’Hervé Legeay offre une danse hallucinogène à l’auditeur qui se retrouve projeté dans un univers de synthèse, dans tous les sens du terme. Il en va de même dans la lecture de l’avenir, étonnamment plus intimiste, entre « Les années 2030 » qui auscultent les sons de la pluie jusqu’à ce duo avec la clarinette basse d’Antonin-Tri Hoang dans « Les années 40 » qui tient de l’intime et d’une forme de nostalgie qui ne regretterait rien.

C’est la clé du Centenaire de Jean-Jacques Birgé : un mélange d’histoire universelle et d’approche familiale qui débute d’ailleurs par « Les années 50 » où l’on entend la voix de sa fille Elsa Birgé amalgamée à celle de son grand-père accompagnées par d’enfantines boîtes à musique conçues par JJB avec Frédéric Durieu. La chanson qui raconte la lutte pour l’indépendance algérienne avec des yeux d’enfant est soutenue par la gouaille poétique de l’accordéon de Michèle Buirette et par le cor de Nicolas Chedmail. Plus loin, dans « Les années 2010 », Birgitte Lyregaard et Sacha Gattino - deux autres proches de la période récente - animent un morceau-pivot qui ancre ce périple dans la réalité. Ce Centenaire est une réjouissante réflexion sur le temps qui passe et l’empreinte qu’on laisse dans ce monde qui ne cessera de tourner. Si c’est un jubilé, il est jubilatoire !

par Franpi Barriaux // Publié le 2 septembre 2018
P.-S. :

Jean-Jacques Birgé (voc, synth, tp, fl, elec, fx, objets), Elsa Birgé, Pascale Labbé, Birgitte Lyregaard (voc), Bernard Vitet (tp), Yves Robert (tb), Nicolas Chedmail (fh), Antonin-Tri Hoang (bcl), Philippe Deschepper, Hervé Legeay (g), Didier Petit (cello), Vincent Ségal (b), Michèle Buirette (acc), Amandine Casadamont (turntables), Sacha Gattino (fx, elec) Cyril Atef, Eric Echampard (dms)

[1Voir notre interview.