Chronique

Jean Louis

Uranus

Aymeric Avice (tp, fx, elec), Joachim Florent (b, fx, elec), Francesco Pastacaldi (dms, fx, elec)

Label / Distribution : Coax Records

Le monstre unicorne qui s’affiche sur la pochette d’Uranus en dit plus long sur le nouvel album du trio Jean Louis que n’importe quelle chronique… A la fois fragile et hostile, avec son allure de poupée de cinéma tout droit sortie d’un des monster movies chers à Franck Zappa [1], il cherche à attraper ce jeune trio membre du Collectif Coax, mais face sa dérisoire patte griffue, les musiciens qu’il domine de sa haute taille n’affichent que de l’indifférence. Tout est imaginaire à la surface d’Uranus. Tout est le fruit d’un scénario échafaudé avec beaucoup de raffinement, malgré ses allures bravaches où s’entrechoquent des atomes de jazz, de rock et de métal, indifférents à toute forme d’étiquettes. Si les revirements permanents de la batterie de Francesco Pastacaldi au cœur de la chambre d’écho d’Aymeric Avice ont pour seul but la course-poursuite, l’énergie qui se dégage de ce power trio est un moyen de partir à l’aventure. Jamais une fin en soi.

Sur Morse, le précédent album, la batterie était très en avant ; ici le propos est plus collectif, et le bruitisme a fait place à une tension permanente. Les vagues qui viennent se fracasser sur l’apocalyptique « Kim Jong-Il » en sont l’exemple parfait. Cette longue suite scindée par l’oraison funèbre du ventripotent dictateur est drue, quasi irrespirable. Cette trame solide qui unit le trio lui permet d’explorer avec plus d’aisance des mondes nouveaux, et de transformer des plaines désolées, des déserts apparemment vastes en jungles luxuriantes (« Abyssaa »). De ces couleurs parfois antagonistes naissent les riffs libérateurs de la trompette. Qu’elles soient percluses d’électricité - jusqu’à l’électrocution - ou qu’elles pénètrent dans une chambre d’écho, toutes les prises de parole d’Avice sont des déflagrations soudaines, consciencieusement égratignées par la contrebasse rageuse de Joachim Florent. Mais ce sont des tables rases qui permettent d’envisager des topographies nouvelles, bâties sur le motif répétitif de « Dokter Gigi ». On aime à se perdre avec les musiciens dans cette profusion de timbres qui n’est pas sans rappeler le vaisseau-amiral Radiation 10, dont les trois musiciens sont - ou furent, pour le batteur - des membres actifs.

On pourrait même filer la métaphore : là où Bossa Super Nova concentre toute l’énergie radioactive d’une bombe à neutron, Uranus s’inscrit dans une suite logique. Un monde post-atomique où la trompette d’Avice sature l’air de plomb fondu pendant que la rage de ses comparses se déleste de ses aspects organiques pour plonger aussi dans l’électricité, non sans se débattre avec l’énergie du désespoir (« Uranus »). On retrouve dans les deux albums un même goût pour les atmosphères acides où ce qui peut paraître inhospitalier devient en un instant chaleureux. La sécheresse de Jean Louis n’empêche en rien les ambiances sombres et métalliques de s’embraser à la moindre turbulence. La carte-postale d’Outre-Terre postée par Jean Louis est une claque salvatrice. Nul doute que la géante de glace va devenir une destination prisée.

par Franpi Barriaux // Publié le 24 février 2014

[1Les plus cinéphiles auront reconnu le cyclope de l’île de Colossa dans Le 7ème voyage de Sinbad, de Nathan Juran.