Chronique

Jean-Philippe Viret

Supplément d’âme

Jean-Philippe Viret (b), Eric-Maria Couturier (cello), David Gaillard (vla), Sébastien Surel (vln)

Label / Distribution : Melisse

Jean-Philippe Viret résume, dans une courte phrase introductive en notes de pochettes, la raison d’être de ce Supplément d’âme : l’écriture pour un quatuor à cordes classique où la contrebasse remplacerait le second violon. Ce désir est, dit-il, ancré chez lui depuis des années, et cette formation inédite permet d’ouvrir une palette de timbres plus large. Tout cela s’inscrit dans un parcours musical cohérent qui souligne son approche chambriste. Sa sonorité très minérale, reconnaissable entre toutes, s’intègre à merveille au cœur du quatuor, qui y gagne en solidité comme en profondeur, et se dispense d’un inutile lyrisme. On le constate avec « Coalescence », où chaque instrument semble porter son propre chant dans une chorale tourbillonnante, avec en son centre le remarquable altiste de David Gaillard. Au cœur de cet infini jeu de timbres, l’archet du contrebassiste encadre à merveille une musique horizontale, gourmande d’espaces et d’images.

Pour l’accompagner dans cette aventure, Viret a choisi trois solistes connus pour leurs diverses expériences dans des orchestres réputés (Ensemble Intercontemporain, Orchestre de Paris, etc.), mais aussi pour leur ouverture aux champs musicaux allant au-delà des musiques écrites européennes. On les retrouve dans diverses aventures, du jazz aux traditions yiddish en passant par le cirque où la danse, à l’instar du violoniste Sébastien Surel, qui s’est illustré au côté de Richard Galliano. On s’attardera notamment sur sa prestation dans « Le rêve usurpé », où il s’offre une courte échappée belle au cœur de cette musique très écrite.

Il n’est peut-être pas question de jazz dans ce Supplément d’âme, mais certainement, en tout cas, d’écriture fluide et brillante. A l’exception des réjouissants arrangements, tout en pizzicati, du morceau de François Couperin « Les barricades mystérieuses », tous les morceaux sont écrits par Jean-Philippe Viret dans cette veine cinématique que l’on trouve également avec son trio (Jean-Philippe Viret (b), Edouard Ferlet (p), Fabrice Moreau (dr)).

A ce titre, « Esthétique ou pathétique ? », qui ouvre l’album, est le symbole de cette continuité. On a en effet déjà pu l’entendre sur Le temps qu’il faut, enregistré avec le trio. Si la forme est forcément différente, il est intéressant de comparer l’approche du formidable violoncelliste Eric-Maria Couturier avec celle d’Edouard Ferlet dans la version originale, ainsi que la distribution des rôles de chacun. Dans ce quatuor inédit, c’est le violoncelliste qui gagne en liberté ; il agit tel un miroir sans tain entre violon et contrebasse (« Justice »). Le résultat est enivrant, jusque dans les morceaux les plus abstraits (« Pierre Daura »). On partage le plaisir manifeste que J.-Ph. Viret a pris en réunissant ces artistes pour jouer cette musique. Supplément d’âme ne dépeint pas seulement les timbres augmentés d’un quatuor classique. Il souligne avant tout la maturité d’un formidable musicien.