Chronique

Jeanne Added

A War Is Coming

Jeanne Added (compositions, b, voc)

Label / Distribution : Naive

Le voici enfin cet EP que beaucoup attendaient, voyant de-ci de-là apparaître des bouts de l’histoire de Jeanne Added sur le réseau ou ayant aperçu le clip violet électrique né des Transmusicales de Rennes (avec Anne Paceo et Narumi Herisson Dupont).

A War Is Coming, pochette-surprise 2015 armée de trois morceaux tranchants, efficaces, terriblement séduisants et hyper-ciselés. Tout en anglais (par pudeur) avec des chœurs à l’allure de samples et des claviers synthétiques simples et directs. Arrangements en forme de riffs, une oppression de l’impression savoureuse (« War Is Coming », la première piste), la finesse des ardeurs, et c’est à peine terminé qu’une autre rasade se fait sentir.

C’est un clavier remarquablement sombre et engagé qui assure l’épaisseur électronique de l’album. Voilà les zébrures à longues traînes des synthés qui filent et dessinent l’architecture des intérieurs. Bruits blancs, souffles et vapeurs, crescendos emphatiques, « tournes » qui se faufilent et mélodies aux couleurs et aux courbes délicieusement primitives, tout une économie qui fabrique et tient en l’air ces moments funambules.

Minimale, acérée et mesurée, la batterie assure le lien entre électronique et acoustique. Une batterie recomposée, joliment aride et austère, sans trop en faire. C’est l’art du peu qui révèle et qui insère le temps dans ces étendues sombres ; la sensation, aussi - celle d’un ensemble, d’un rapport compact et solide aux événements déployés. Entre instrument rythmique et objet mélodique on ne peut que goûter gourmand à cette intelligence des détails et des insertions.

Et puis, à côté de la basse de Jeanne, belle et charnue, il y a la voix de Jeanne. Une manière de faire qui renverse. Entre graves éraillés, voile traînant, chaleur abîmée et légère saturation aux effets moirés. Une voix mixée « dedans », enfouie parfois, habilement donnée comme un jeu répétitif et lancinant, chantée sans séduction ni entourloupe démagogique. On entend l’épopée dans ses compositions, on y sent l’errance et on en savoure la délicate impureté - tout ce qui fait qu’au-delà de la narration des chansons, une métaphysique lumineuse et irisée se détache et survole les lieux.

On pourrait faire des rapprochements avec les constructions sonores de The Dø première génération (« It » sonne immédiatement ainsi, comme à l’époque des sessions au studio Pigalle). Et c’est d’ailleurs Dan Levy qui a assuré l’arrangement de ces chansons. Pas de hasard dans les envies, pas de secret dans les bienfaits. Il se pourrait que l’on siffle plus tard un air ou deux…

On croit parfois entendre Skip&Die et MIA, Eurythmics aussi - mais oui (« Miss it All »), et encore et surtout toute cette frange de musiciens et musiciennes qui adorent le monde des éléments post-punk, des électroniques sobres et minimalistes, de la cold wave dopée, de la no wave ressuscitée et des environnements trip hop empreints d’un alliage paradoxal et fertile de joie et de mélancolie. Car A War Is Coming en appelle aux imaginations à la fois crépusculaires et scintillantes. Une balade aussi vénéneuse que grisante où il est question de physique. Physique des corps, physique des sons, physique des alchimies. Une expédition cantique pour esprits quantiques délicieusement absorbés.