Entretien

Jérôme Barde

Guitariste et globe-trotter mélodiste.

Depuis vingt ans, il passe sa vie, de New York à Paris, à jouer dans les clubs, les festivals. Accompagnant aussi bien les pointures du jazz américain qu’à la tête de ses propres groupes, il s’est taillé une solide réputation. Aujourd’hui, il fait le point sur ses engagements passés, ses projets et son nouveau groupe avec lequel il vient d’enregistrer.

- Comment êtes-vous venu à la guitare ?

J’ai commencé la guitare à treize ans et comme beaucoup de jeunes guitaristes pubères « en vacances » à l’époque, j’ai joué du rock’n’roll. C’était vers 1976. Mais assez rapidement j’ai écouté du jazz. Il y en avait chez moi, par mon père. Et puis j’ai surtout écouté FIP. On y entend vraiment de tout. Alors, j’ai joué par-dessus les solos que j’entendais. J’ai développé mon improvisation à ce moment. Je jouais alors de la guitare électrique avec mon groupe de rock et de la guitare acoustique chez moi. Mais j’ai vraiment découvert la guitare, les harmonies, les doigtés avec la dame qui s’occupait de la chorale de l’église de l’Etang-la-Ville ! Je jouais à la messe du dimanche, en accompagnant la chorale. C’était un régal !

- Ce sont de bonnes bases pour apprendre à jouer les accords jazz, non ?

Oui, je me suis dit : pour bien jouer le rock, il faut connaître le jazz. Alors j’ai cherché à mieux connaître cette musique. Après six mois de travail j’avais abandonné le rock pour le jazz. Vers seize ans, j’ai déménagé au Havre et j’ai fait mes débuts en professionnel. Je jouais déjà un peu avec mon père, batteur amateur et Arigo Lorenzi, un dentiste–saxophoniste qui se produit toujours. Je voulais vraiment être musicien et les musiciens havrais m’ont bien accueilli, cela m’a poussé à continuer. J’ai beaucoup joué sur les disques, beaucoup travaillé et à dix-neuf ans, je suis parti à Berklee, aux U.S.A. J’y ai passé quelques années. Mais j’ai plus apprécié le contact avec les jeunes musiciens que les cours eux-mêmes. J’ai beaucoup joué à ce moment. Je suis parti à New York et là, j’ai vraiment plongé dans le bain : petits boulots, jam-sessions, gigs dans les restaurants, les fêtes, les mariages, etc. Je suis resté quatre ans, jusqu’en 1991.

- Vous faites partie des musiciens français qui ont tenté et réussi le grand saut ?

A New York, c’était fabuleux. Je jouais : avec un organiste et sa femme chanteuse, du rhythm‘n blues, il avait accompagné Otis Redding et jouait dans son style, terrible ! ; du jazz dans les clubs ; un vieux chanteur français marseillais Stéphane Donnet, qui avait émigré et ne se produisait plus qu’ici, il avait plein d’histoires sur le show-biz français des années soixante-dix ! !
J’ai fait plein d’autres choses et j’ai surtout joué avec des musiciens de ma génération qui sont aujourd’hui connus, comme Billy Drummond, Ira Coleman, Gene Jackson, Leon Parker,Frank Amsallem, avec qui j’ai co-habité. J’ai tourné aussi avec Steve Grossman, Joe Lovano, Jerry Bergonzi, Tom Harrell…

- Vous avez souvent accompagné des chanteurs, jusqu’à Emmanuel Bex qui s’en empare régulièrement. Quel est votre rapport à la chanson ?

J’adore ça. Si je chantais mieux, j’aurais aimé être chanteur. J’essaie de chanter sur ma guitare. Avec Bex, c’est différent. On en a souvent parlé. Le volume sonore n’est pas le même pour un orgue que pour une guitare. Il faut équilibrer tout ça. Je suis un mélodiste en improvisation. Avec Bex, lorsqu’il joue-chante, j’accompagne.

- Comment s’est effectué le retour en France, en 1991 ?

Au départ, j’ai bien démarré. J’ai fait un groupe avec le batteur Tony Rabeson, on a tourné. J’avais enregistré un disque aux U.S.A. Feliz avec Kirk Ligtsey, Billy Hart et Rufus Reid et ce fût une belle expérience. J’ai tourné avec Tony Rabeson, Ricardo Del Fra ou Paul Imm et Jean-Michel Pilc. Mais n’ayant pas un sens aiguisé du business, je me suis retrouvé peu à peu en manque d’engagement… Depuis 1993, j’ai tourné avec un groupe : les Amuses Girls, pour un spectacle qui a bien tourné.

- Pourtant je n’ai pas l’impression que vous êtes sur la touche ?

Non. Mais c’est dur. En 1995, j’ai intégré le groupe d’Emmanuel Bex. C’est une vraie chance. On s’était déjà rencontré, je l’avais appelé pour des concerts. Or, Yves Brouqui jouait avec lui, mais il est parti à New York. Alors, Bex m’a appelé à son tour. On joue ensemble depuis. Il est très fidèle. On a fait le Bex Machine, le Bex’tet. J’ai aussi joué dans son dernier disque, Mauve.

- Vous jouez avec trois pianistes radicalement différents : Bex, Donald Brown et Baptiste Trotignon. Quels sont vos rapports avec eux ?

J’aime le jazz pour ça : passer d’une ambiance à l’autre. La liberté, les surprises…
Bex et moi avons des idées différentes sur la musique, mais je comprends son langage. Cela fonctionne. C’est la différence qui fait la richesse. Je n’utilise pas d’effets, mais j’essaie d’aller de l’avant. Mes références sont ancrées dans le style be-bop, mais je ne suis pas un musicien be-bop.
En ce qui concerne Donald Brown, nous nous connaissons depuis quelque temps. Il connaissait mon disque. Nous avons fait des dates ensembles. Et puis récemment, il enregistrait French Kiss et m’a invité sur le disque. Depuis, nous avons d’autres projets.
J’ai rencontré Trotignon dans les clubs, lorsqu’il est arrivé à Paris. Il m’avait beaucoup impressionné. Nous avons fait le bœuf. Et puis j’ai décidé de le prendre dans mon groupe, avec Vincent Artaud à la basse et Daniel Bruno-Garcia à la batterie. On a aussi invité Stéphane Belmondo pour quelques concerts.
Les trois pianistes sont vraiment différents. J’ai plus d’affinités musicales avec Donald Brown, son approche musicale me ressemble plus.

- Votre groupe est amené à tourner. Vous avez même un disque en préparation.

Oui, on joue principalement ma musique. Les thèmes et les arrangements. Je suis le soliste du groupe, il y a bien sûr une interaction avec les musiciens, mais je tiens la barre.
J’ai souvent des problèmes de sonorisation dans les concerts. La guitare n’est pas assez mise en avant. Mon son est fondu dans la masse, c’est dommage.
Sur le disque, nous avons invité un percussionniste Arnold Mouesin. On a enregistré, il y a un an, et il va sortir bientôt. C’est une musique qui me tient à cœur.

- Vous réclamez-vous d’une influence précise ? On pense à Wes Montgomery en vous écoutant.

Ah oui. Je n’ai pas d’influence particulière, mais par contre, les deux guitaristes qui me font vraiment de l’effet sont Django Reinhardt et Wes Montgomery. Ils ont de la magie, de l’émotion.

- Quels sont vos projets en cours ?

Oui, j’aimerais m’atteler à l’écriture et l’arrangement pour des formations plus importantes que le quartet. J’écris depuis longtemps, et je me sens attiré par les couleurs sonores d’un grand ensemble. Plus il y a de musicien, plus cela me plaît. L’émotion vient du sentiment d’unité. Une chanson chantée par un seul très bon chanteur, c’est magnifique. Si ce sont deux chanteurs unis, il se passe quelque chose de fort, etc. Ce n’est pas propre à la voix, par exemple Doudou N’dyae Rose, avec cinquante percussionnistes, procure les mêmes émotions.
A ce propos, je pars jouer au Sénégal, à St Louis, avec Lynley Marthe, Francis Lassus, Stéphane Belmondo, Olivier Témime et Ali Keita, dans un festival de jam-session.