Chronique

Jésus Aured

Gau izartsua

Jésus Aured (accordéon)

Label / Distribution : Autoproduction

Gau izartsua est le premier album de Jésus Aured. Peu médiatisé, ce Bayonnais n’est pourtant pas un nouveau venu. Souvent entendu avec Beñat Achiary, avec qui il partage un même goût de l’improvisation, on l’a également vu aux côtés de musiciens prestigieux tels que Bernard Lubat, Linda Sharrock, Raúl Barboza ou Stéphan Oliva. Ce disque solo, d’emblée, confirme sa place parmi les accordéonistes qui comptent. Il y déploie une remarquable sensibilité et pousse plus avant son instrument sur les terres de l’expérimentation.

Marqué au sceau de l’ingratitude, l’accordéon a été rejeté dans les marges des grands courants du XXe siècle. Pourtant, ses claviers lui confèrent un potentiel harmonique que peu d’instruments possèdent. A cette vaste palette mélodique s’ajoute l’aspect viscéral du souffle et la minéralité des anches. De lui, la France conserve pieusement dans le formol l’image d’Yvette Horner et une restriction quasi instinctive au bal-musette. Ailleurs, il est dévoué à divers folklores ou, au mieux, au tango. Pourtant, dès les années 30, Gus Viseur a fait entrer le piano à bretelles dans l’ère du jazz et l’a assis dans les rangs du Hot Club de France. Jo Privat, venu du musette, l’a pétri et mêlé au swing manouche de Django Reinhardt. Plus récemment, Richard Galliano et Marc Perrone l’ont respectivement intronisé dans les royaumes du jazz blanc populaire et des musiques de film. Mais au-delà, pas grand-chose. (Exception faite de Zakaria, quartet post-klezmer de l’accordéoniste français Yves Weyh, première signature française du label d’avant-garde Tzadik.)

Jésus Aured, avec son Gau izartsua (nuit étoilée, en basque), s’inscrit donc dans une sorte d’exception, dans la lignée du minimalisme pionnier de Pauline Oliveros et des improvisations abrasives de Claude Parle. Son jeu sur ce solo se construit sur un drone permanent qui infuse à l’œuvre une puissance méditative. Tout semble ici sous l’emprise d’un flux tellurique, un écoulement d’énergie qui dans un même mouvement unifie et module avec subtilité sa musique, la propulsant par là vers des territoires hautement oniriques, des paysages sonores inexplorés. « Sous le ciel de Paris », hymne musette par excellence et seule reprise du disque, s’en trouve sous ses mains métamorphosé, soudainement rendu à une mélancolie contemplative qui ferait presque passer Gardel pour un compositeur comique. Quant à « La mémoire de mes ancêtres », exemple captivant de l’art de cet accordéoniste d’origine espagnole, il convoque les souvenirs lointains de mélodies ibériques, écumes lumineuses qui remontent à la surface des vagues bruitistes baignant la composition.
La musique d’Aured, et c’est aussi là tout l’éventail technique qu’offre l’accordéon, multiplie les voix, donnant à entendre plusieurs instruments en un, compose des tableaux remplis de détails minutieux, imprimés sur de profonds monochromes.

Un seul regret : la pochette n’est pas au diapason graphique de l’ambition artistique du disque. Reste la musique. Essentielle.