Entretien

Joël Mettay

« Instants de jazz », signé Michel Arcens, et « Koko », d’Alain Pailler ainsi que « Longueur du temps » d’Alain Gerber, sont parus chez Alter Ego. Citizen Jazz interroge son directeur sur son engagement et ses perspectives.

Au moment où il est question de crise du jazz, Citizen Jazz interroge sur son engagement et ses perspectives le directeur de la maison d’édition « Alter ego », qui a publié début 2010 « Instants de jazz », signé Michel Arcens et comportant des inédits d’Alain Gerber et des photographies de Jean-Jacques Pussiau, puis, en 2011 Koko, d’Alain Pailler et Longueur du temps d’Alain Gerber.


Après une carrière de journaliste au quotidien L’Indépendant de Perpignan, Joël Mettay a décidé de devenir éditeur. Basé à Céret, qui fut, selon l’expression consacrée, la « Mecque du cubisme », tant les plus grands peintres de la première moitié du XX° siècle y ont trouvé l’inspiration, il a tout naturellement publié, entre autres, plusieurs ouvrages liés à l’histoire artistique de cette petite ville.
Début 2010 il publie Instants de jazz (Prix Vendémiaire 2010) qui, avec des textes inédits d’Alain Gerber, des photographies de Jean-Jacques Pussiau, est signé Michel Arcens (devenu depuis collaborateur de Citizen Jazz après avoir longtemps été chroniqueur au Midi libre). Depuis, destin ou hasard des rencontres, sa maison - qui porte le beau nom d’« Alter ego Éditions » - a publié un livre d’Alain Pailler traitant du morceau éponyme de Duke Ellington, Koko, ainsi que Longueur du temps, d’Alain Gerber, qui s’essaye ici à une nouvelle forme d’écriture, prose et poésie, souvenirs et confessions, où le jazz est évidemment plus que présent.
Joël Mettay crée alors une collection nommée « Jazz Impressions », dont la vocation est de rapprocher jazz et littérature.
Au moment où il n’est question que de crise du jazz et donc plus encore de crise du livre de jazz, il nous est apparu éclairant d’interroger cet éditeur sur les circonstances de son « engagement » et sur ses perspectives.


  • Joël Mettay, vous avez édité simultanément deux ouvrages d’auteurs de renom, Alain Gerber et Alain Pailler, connus pour être des passionnés de jazz et écrire sur le sujet mais aussi pour s’inspirer dans leurs écrits de la musique elle-même. Vous êtes sans doute vous-même un passionné de jazz ?

Je ne sais pas si on peut appeler cela une passion… Disons que je suis extrêmement sensible à la musique en général, sans exclusive. J’entends par hasard une musique, un chant, j’ai envie de l’écouter ou pas, il se passe quelque chose ou rien… Que ce soit du jazz, du classique, du contemporain, du traditionnel, du rock, etc. Quand une musique a de l’emprise sur moi, je le sais immédiatement, je ne peux rien faire d’autre pendant que je l’écoute. Je n’aime pas toute la musique, j’aime les musiques qui me parlent.

Je suis venu au jazz dès mon adolescence par les chanteurs de blues - bien rugueux de préférence -, comme John Lee Hooker et d’autres, puis par les grandes chanteuses : Billie, Ella, bien sûr, mais aussi Peggy Lee ou Helen Merrill, que j’ai découverte plus tard.
Oui, c’est la voix humaine qui a guidé mon chemin à travers le jazz, comme à travers les autres musiques. J’ai un faible pour les gens que la vie a un peu bousculés, qui sont toujours un peu « à côté », pas dans le droit chemin, pour les voix un peu « cabossées », au timbre un peu décalé, pour les interprètes atypiques voire carrément déjantés, pour les musiques « inclassables » qui parlent une langue bien à elles mais avec un accent hérité de cultures lointaines et multiples… Django, que j’ai écouté dès mon plus jeune âge, en est un bel exemple. La musique klezmer me touche autant que Mozart, Coltrane autant que Glenn Gould, Tom Waits autant que Placido Domingo… Et puis, il y a le cas Piaf, qui aurait dû naître à Chicago ou New York ! Bref, je ne suis pas sortable ! En fait, ce qui m’intéresse autant que les musiques, ce sont les personnes. Les personnages, les destins. Pour cela, le jazz est d’une grande richesse, un vrai roman, gigantesque, et Gerber l’a bien compris, sans doute avant tous les autres. Ses émissions de radio, ses livres ensuite, m’ont rendu cet univers encore plus captivant et cette musique encore plus indispensable.

  • Comment êtes-vous parvenu à cette décision éditoriale, sachant que les livres sur le jazz ne se bousculent pas vraiment dans les librairies ?

En effet, écouter du jazz, c’est une chose mais publier des textes relatifs au jazz… c’est une aventure ! De fait, c’est la rencontre avec Michel Arcens qui a été le véritable déclencheur. Une rencontre fortuite, comme toujours dans ce genre d’histoire.Nous avions travaillé dans le même groupe de presse, et nous nous en étions évadés pratiquement ensemble, mais nous nous étions perdus de vue depuis une dizaine d’années. Il savait que j’étais devenu éditeur, je savais qu’il écrivait des articles et des chroniques sur le jazz, mais j’ignorais qu’il produisait aussi des textes plus « conséquents ». Et là il me propose Instants de Jazz. J’avais plusieurs bonnes raisons de l’accepter. Premièrement, ses textes me plaisaient, notamment par leur façon très originale de parcourir, de l’intérieur, à partir de l’intime, l’univers du jazz. Deuxièmement, ma maison d’édition est spécialisée dans le domaine des arts modernes et contemporains. Un espace dans lequel le jazz a toute sa place. Enfin, Alter ego, qui publie aussi ce que j’appelle des « documents d’histoire contemporaine », se fait un devoir de donner la parole à ceux qui ont peu de chances de se faire entendre. Or, le jazz ayant de plus en plus tendance à disparaître du catalogue des grands éditeurs, il devenait inéluctable que je l’inscrive un jour ou l’autre sur le mien… Dès qu’Instants de jazz est paru (il a été salué par nombre de médias que je remercie au passage), Alain Pailler, spécialiste incontesté du Duke, m’a téléphoné ; puis Alain Gerber, le King absolu, m’a envoyé un mail. Vous connaissez la suite !

  • Dites-nous ce qui vous a séduit chez eux ?

Alain Gerber, c’est comme si je l’avais toujours connu… J’étais un auditeur très assidu de ses émissions à la radio, mais surtout, je devais avoir dans les 25 ans quand j’ai lu mon premier Gerber, Une rumeur d’éléphant ; rien à voir avec le jazz mais immédiatement, sans savoir exactement à quoi cela tenait, je me suis senti en totale connivence avec lui. Sentiment que j’ai d’emblée retrouvé quand il m’a envoyé Longueur du temps. Sur le plan personnel, ce texte me renvoie à des décors, des odeurs, des personnages de mon enfance. Sur le plan littéraire, ce qui m’a immédiatement séduit c’est cette liberté de la forme, du style, ce côté « un peu à côté » dont je parlais tout à l’heure. Un Gerber au plus près de son être intime. Quelque chose de rare…

Quant à Alain Pailler, je le connaissais surtout comme étant LA référence sur tout ce qui concerne Duke Ellington. Koko m’a captivé à la fois par son incroyable érudition — 120 pages sur une composition de moins de trois minutes, ça laisse rêveur, non ? — et par sa grande simplicité de ton, la clarté de son style. C’est à la fois un texte de spécialiste et un texte pédagogique - on y apprend beaucoup de choses et il est accessible au plus grand nombre. En ce sens, c’est, pour moi, non seulement une prouesse mais la griffe d’un grand écrivain.

  • Vous êtes basé à Céret dans les Pyrénées-Orientales, tout près de la frontière espagnole. S’y trouve un Musée d’art moderne et contemporain, fort réputé à juste titre, dont vous vous occupez aussi. Pour l’éditeur de province que vous êtes, un peu loin de tout il faut bien le dire, publier deux écrivains pareils, est-ce dû à la chance ou à la volonté délibérée d’aller à contre-courant ?

Céret est, c’est vrai, un peu isolé. C’est pour cela que Picasso, Braque, Juan Gris, Soutine et tant d’autres y sont venus, ce qui a valu à cette petite bourgade le fabuleux surnom de « Mecque du cubisme ». Ces grands maîtres, ces visionnaires, s’y sont réfugiés dès 1911 pour s’y concentrer, y travailler intensément, loin de l’agitation parisienne, des querelles de clans, de la dictature des faiseurs d’opinion, de la prépondérance du « paraître » sur l’« être ».
Il y a un prix à payer pour le privilège de travailler en province : le silence médiatique. Par manque d’information, les médias nationaux s’intéressent peu aux éditeurs de province. Alors, publier Alain Gerber et Alain Pailler c’est une chance pour moi, bien évidemment, car les grands médias ne peuvent passer à côté de ces deux écrivains de référence.
Dans un courrier qu’il m’a adressé, Alain Gerber parle à propos de mon travail « d’acte de résistance ». C’est très flatteur, mais la vérité est que je n’ai pas conscience de « résister ». Je ne cherche pas à aller à contre-courant ; je fais simplement ce que me dictent mes convictions et mes coups de cœur. Je vais où me mènent mes pas. Et puis, « la résistance », par définition, ça ne se commande pas.

- Vous venez de rassembler sous un titre de collection très coltranien « Jazz impressions », ces livres qui viennent de paraître en y rattachant les Instants de jazz de Michel Arcens qui ont été publiés il y a un peu plus d’un an. Votre souhait est-il de poursuivre dans cette voie, d’éditer d’autres ouvrages dont le jazz serait le sujet, d’une façon ou d’une autre ?

Effectivement, le thème est captivant et je prendrais bien encore quelques chorus avant la coda !


ALTER EGO
3 rue Elie-Danflous
66400 CERET

Les différents ouvrages cités peuvent être commandés directement auprès de l’éditeur ou sur le site de la librairie Decitre.