Chronique

Joëlle Léandre

Wols Circus

Joëlle Léandre (b)

Label / Distribution : Galerie Hus

Parmi les manifestations qui ont marqué le soixantième anniversaire de Joëlle Léandre, il en est une qui a peut être plus compté que d’autres. On le devine aujourd’hui avec ce Wols Circus, magnifique témoignage d’un concert enregistré en novembre à la « Maison rouge » (Paris) en juillet 2012, habillé d’une sobre pochette en papier gris. Autour de douze œuvres de Wols (Alfred Otto Wolfgang Schulze), peintre et photographe allemand de la première moitié du XXè siècle, représentant du courant tachiste, qui bénéficia d’une large reconnaissance après-guerre, la contrebassiste construit un solo plein de heurts et de silences. Les sillons heurtés et sommaires des gravures où s’insinue l’archet volage sont autant de partitions où la densité est le fruit de chemins accidentels, et où la matière, qu’elle soit orchestrale ou graphique, est à la fois sujet et objet du discours.

Chaque gravure est un monde de secrets partagés, de voix chuchotées et de noirceurs soudaines. Pour « Herz », c’est une mélodie chantée, profonde, qui semble s’évader d’une friction fébrile, c’est le crissement d’un fusain sur la feuille avant qu’elle ne soit emporté par la tension des cordes ; à l’inverse, pour « Dunkle Stadt », c’est un propos quasi mutique où la masse de silence est à peine effleuré par les chocs de l’archet. Il y a entre les deux artistes, d’un siècle à l’autre, plus qu’un voisinage : une approche commune de l’abstraction et de l’improvisation. Ce qui a durablement marqué la musique de Joëlle Léandre, on le retrouve dans ce qui différenciait le tachisme de l’action painting de Jackson Pollock. Une similitude des processus créatifs turbulents où l’aléatoire est l’incarnation d’une certaine profondeur.

Entre eux deux, on sent également un goût commun pour les confins et l’insoumission aux genres. Enfin, et peut-être surtout, une inclination semblable pour les transgressions fécondes et leurs mises en scène, comme dans ce « Die Stadt / Quer » où la virulence soudaine de la contrebasse se pique de malice lorsqu’elle se mêle au chœur d’un chien hurlant. Ce dernier, cloué par un « Assez ! » tonitruant, clôt la rencontre sur une pirouette. On ne sait plus vraiment, au terme de l’album, si l’une donne à voir les gravures de l’autre ou bien si l’autre, dans un espace-temps qui reste à trouver, donne à voir la musique de l’une. Loin d’ouvrir sur la confusion, ce Wols Circus est un dessein d’une implacable clarté qui se dresse devant l’auditeur : celui de l’intransigeance.