Chronique

Joëlle Léandre

Strings Garden

Joëlle Léandre (b), Bernard Santacruz (b), Gaspar Claus (cello), Théo Ceccaldi (vln)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

Le jardin de cordes de Joëlle Léandre et ses essences rares, c’est la certitude d’une jolie promenade, tout en abandon. Proposée par la fondation Sluchaj de Varsovie, ce bel objet construit autour de la musicienne fait office de déconstruction d’un quatuor à cordes. Un carré dont le barycentre serait la contrebasse. Orfèvre de la relation duale, Joëlle Léandre a choisi de le décliner en trois disques. Autant de rencontres uniques dont on peut imaginer la superposition, comme une persistance rétinienne ; deux fidèles, le contrebassiste Bernard Santacruz et le « filleul » violoniste Théo Ceccaldi, un nouveau dans l’herbier conséquent de madame Léandre, le violoncelliste Gaspar Claus, de loin la manche la plus nerveuse et intranquille. En témoignera « Leaf n°2 » où le violoncelle joue de chaque parcelle de son bois, de crissements et gifles nécessaires pendant que madame Léandre chantonne et tient son archet aux aguets. Balancée par le vent, le destin d’une feuille.

Car dans le Strings Garden, tout comme dans le quatuor classique, chaque instrument à un rôle. La contrebasse centrale de l’hôte est le tronc majeur, fort et puissant, espèce singulière et fructueuse. A moins qu’elle ne soit le substrat qui nourrit les racines alentour, à l’image de ce « Trees n°4 » de Bernard Santacruz qui fait penser à une tige qui s’enrubanne sur l’autre, comme ces lilas qu’on croit partis du même pied et qui sont en réalité de deux couleurs différentes. Sur Trees, la première des trois rencontres enregistrée à Paris en juin 2016, les contrebassistes ont des jeux bien différents. Celui de Léandre est un torrent au débit irrégulier comme après un orage, tout à l’archet, avec une sensation de cycle, d’éternel renouvellement. Celui de Santacruz naturellement sec, en pizzicati ou peu s’en faut (« Trees n°5 ») avec un son mat, semblable à une percussion qui grandit à mesure que sa camarade lui laisse de la place, voire se mélange avec un réel plaisir sur « Trees n°2 ». A chacun sa destinée, celle de Ceccaldi est de se montrer gracile. La fleur du jardin, parfumée et féconde, propose un échange fragile mais très élaboré, proche d’un silence intense et précieux (« Flower n°1 »).

Quel que soit son état : arbre, feuille ou fleur, la chimie est la même, seuls changent les ingrédients : Joëlle Léandre est à gauche, bien calée dans son canal, et son vis-à-vis est à droite. La formule privilégie évidemment le dialogue, mais il y a également quelque chose de la constance. Entre les trois disques, comme entre les improvisateurs, se noue un lien fort, nécessairement organique, qui ne réside pas seulement dans la personnalité ou l’univers de la contrebassiste. On en a l’intuition lorsque sur « Flower 5 », alors que le violon de Théo Ceccaldi est un chuchotis lointain qui s’assemble sans peine aux craquements denses du violoncelle dans « Leaf 6 ». Il y a dans ce jardin-là une unité. Esthétique et rebelle, comme peuvent l’être certains parterres anglais dont on dit qu’ils sont ceux qui donnent le plus de travail, mais aussi quelque chose de franchement substantiel, identifiable à de la génétique. La marque d’une famille de musicien reconstituée en entretiens individuels, une suite de traces et de signes. Un des témoignages les plus incarnés du langage cher à Joëlle Léandre.

par Franpi Barriaux // Publié le 30 décembre 2018
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