Chronique

Joëlle Léandre & Elisabeth Harnik

Tender Music

Joëlle Léandre (b), Elisabeth Harnik (p)

Label / Distribution : Trost Records

Il faudra sans doute qu’un jour, quelqu’un s’attelle à l’importance des duos chez Joëlle Léandre, ce que notre rédaction avait déjà fait succinctement, mais en élargissant l’étude à des typologies, des approches, voire des climats inter-relationnels ou intergénérationnels et ce qu’il en découle. On y trouverait fatalement des instants orageux, des amitiés solides où les musiciens se situeraient aux points cardinaux d’un désert et certainement aussi des petits moments de grâce et d’évidence, comme cette nouvelle rencontre avec la pianiste autrichienne Elisabeth Harnik, merveille de douceur où l’archet domine et conduit une agile main droite à batifoler dans des champs qui se dessinent à mesure qu’on avance ; un moment de tendresse, même lorsque la contrebasse tâtonne dans son registre aigu, sur le « Ear Area II ». D’ailleurs, alors que Harnik exploite quelques accords parsemés dans un pointillisme délicieux, Léandre se lance dans une sinuosité de bouts-rimés mezza-voce, comme l’on entre dans une chambre à pas de loup. Tender Music.

C’est d’ailleurs une partie de l’équation qui décide de l’alchimie entre les improvisatrices. Joëlle Léandre et Elisabeth Harnik - qui a notamment joué avec Ken Vandermark, Soizic Lebrat ou Tania Feichtmar - s’engagent dans une musique qui peut s’apparenter à une pièce parfaitement improvisée, mais qui ne s’en tiendrait pas qu’à cette seule pièce. A moins bien sûr de pouvoir y organiser quelques turbulentes batailles de polochons, à l’instar de « Ear Area IV » joué tout en esquive grâce à un piano fulgurant que la contrebasse canalise sans rudesse. C’est ainsi que se construisent ces « territoires d’oreille » où chaque mouvement sensible fait sens, du frottement des cordes du piano dans « Ear Area V » aux mélodies brisées çà et là qui nous maintiennent en alerte. Ce territoire s’étend à tous les sons, pour les cartographier et tenter de les suggérer à la moindre étape.

Joëlle Léandre a toujours trouvé en Autriche le moyen de questionner sa musique et de faire aboutir ses désirs. Ainsi, rappelons-nous que c’est dans l’ancien empire qu’elle avait offert une première lecture de Can You Hear Me ? en tentet. Le travail avec cette pianiste quadragénaire permet de recalibrer une approche pleine de délicatesse. On en avait l’habitude dans des registres plus ténébreux, marqués par un piano fouillant ses basses. La légèreté induit un liant lumineux. Il se différencie des contrastes communs par sa chaleur englobante qui donne à cette Tender Music quelque chose de moelleux, modelable à l’envi mais qui n’oublie rien de sa mémoire de forme. Un de ces tendres coussins sur lesquels on se permet de rêver sur ses deux oreilles.