Chronique

John Greaves

Verlaine Gisant

John Greaves, comp, piano, chant ; Eve Risser, piano ; Elise Caron, chant ; Thomas de Pourquery, chant ; Olivier Mellano, guitares ; Jeanne Added, chant ; Régis Boulard, batterie ; Guillaume Roy, alto

Label / Distribution : Signature/Radio France

John Greaves a pris Verlaine à bras-le-corps comme certains ont trouvé la foi derrière un pilier : de manière exclusive, passionnelle et génératrice d’inspiration. À plus d’un titre, cette rencontre était inéluctable. Le bassiste du groupe Henry Cow et de maintes autres aventures « canterburyennes » est un gourmand de mots - mots qu’il roule avec un accent inimitable. Son élégance débraillée habille les vers du prince des poètes d’une douceur veloutée qui sait à l’envi se faire licencieuse. Verlaine Gisant, sa troisième incursion dans l’univers du poète, a la grâce vénéneuse de la fée verte ; les deux premiers volets créaient autour des poèmes une atmosphère particulière, une sorte de pop délicate qui laisse beaucoup de place à la rêverie, dans un style qui sied parfaitement à ce Gallois installé en France depuis bien longtemps - et peut-être à lui seul. Cet troisième hommage est une admirable évocation de la lente agonie de Verlaine mise en chansons par Emmanuel Tugny, qui s’est lui-même inspiré des Derniers jours de Paul Verlaine de Gustave Le Rouge. Il n’est pas constitué de textes indépendants, mais d’une suite d’épisodes théâtralisée qui vous mène de l’éther aux limbes avec une gravité sensuelle.

L’exemple le plus éclatant en est sans doute cet « Air de la lune » dans lequel Jeanne Added transforme les mots en rocaille où les fleurs éclosent. Comment exprimer l’émotion qui en émane ? On pense à d’autres textes habités par la chanteuse, de Nouvelle Vague à son Be Sensational. L’émotion se blottit aussi dans les cordes de Guillaume Roy, qui construit un « solo alto » préalable comme on compose un acrostiche… Un moment suspendu d’où s’échappent des écorchures lointaines dans les grondements de la voix, des rages soudaines dans la guitare très tendue d’Olivier Mellano. Avec le piano d’Eve Risser, ce dernier est la charpente de l’errance vers la mort décrite ici. La pianiste, à la fois discrète et omniprésente, dessine à petites touches impressionnistes des paysages qui fourmillent de couleurs et prennent du relief au contact des percussions cristallines du très regretté Leon Milo. Précisons que Mellano, gourmand de lettres, a souvent mis les écrivains en musique, à cheval entre rock (Dominique A, Lætitia Sheriff, les disques de Tugny) et musique improvisée (avec Noël Akchoté ou le batteur Régis Boulard, également présent ici).

Cet entre-deux est le tropisme de cet opéra de poche où l’on retrouve les voix d’Élise Caron et de Thomas de Pourquery (celle de Guillaume Roy surgit parfois des ténèbres)… et bien sûr celle de John Greaves lui-même. Les vagabondages sont ici extrêmement scénarisés. Lorsque les chanteurs s’harmonisent ou se répondent, on se laisse gagner par l’ivresse. Sur l’acide « Air de la Loire », l’alchimie est tonitruante entre la puissance de Pourquery et la nacre d’Elise Caron. Avec « Un ange », la chanteuse renoue avec la tendresse de Chansons, son disque en duo avec Greaves. Crépusculaire, Verlaine Gisant a la beauté flamboyante d’une vie qui se sera consumée.

On ne peut que confier la conclusion au poète :

Dans cette rue, au cœur de la ville magique
Où des orgues moudront des gigues dans les soirs,
Où les cafés auront des chats sur les dressoirs
Et que traverseront des bandes de musique.
Ce sera si fatal qu’on en croira mourir :
Des larmes ruisselant douces le long des joues,
Des rires sanglotés dans le fracas des roues,
Des invocations à la mort de venir



John Greaves « Verlaine Gisant », Maison de la Radio © France Musique