Chronique

John Ruocco

Am I Asking Too Much ?

John Ruocco (cl), John Taylor (p), Riccardo Del Fra (b)

Label / Distribution : Pirouet Records

Quel plaisir que de chroniquer un album de cette qualité ! Mais encore faut-il avoir quelque chose de plus à dire que la musique, car Am I Asking Too Much ? dit déjà tout et parle de lui-même.

Inutile de parler des musiciens, que l’on ne présente plus. Riccardo Del Fra, contrebassiste indispensable et discret - et pourtant prolixe - dans l’histoire du jazz (Chet Baker, Barney Wilen…) et des musiques de film. John Taylor, pianiste à l’univers très personnel, actif aux côtés de Kenny Wheeler ou Peter Erskine, et dont le dernier album avec Palle Danielsson (Whirlpool) mérite une écoute très attentive. Et John Ruocco, saxophoniste et clarinettiste, qui est peut-être celui qui s’est fait le plus discret sur scène ou sur disque ces dernières années : il a longtemps préféré l’enseignement (aux Pays-Bas et en Belgique). On l’a cependant revu récemment aux côtés de Jean-Louis Rassinfosse et Felix Simtaine (A Ghost Of A Chance), de Myriam Alter (Where Is There) ou encore de Fre Desmyter (Something To Share).
Et le voici enfin en leader d’un trio. Et quel leader ! Et quel trio !

Tout au long de ce magnifique album, le discours de ces amis est posé, intelligent et d’une élégance rare. Le sens du swing est de tous les instants, sous-jacent comme une vague de fond perpétuelle. Il illumine l’irrésistible « A Glimmer », le délicieux « Waltz 4 », le grisant « Little Stones » et ainsi de suite. Un véritable esprit de groupe flotte entre ces trois musiciens. Quand l’un prend la parole, ce n’est pas pour remplir l’espace mais pour nourrir l’esprit. Taylor évoque tour à tour l’introspection, l’insouciance ou le bonheur, avec un toucher délicat et habile, exempt de toute démonstration. Del Fra lie et délie les conversations, ajoute un accent ici, souligne une phrase là, accompagne une idée un peu plus loin… Et Ruocco, qui laisse d’immenses espaces à ses compagnons pour de magnifiques improvisations apaisées, ne lâche à aucun moment sa clarinette. Il la fait rire, sursauter, chanter, pleurer - bref : vivre. Son souffle d’une maîtrise parfaite suscite à chaque instant une myriade d’émotions. Chaque composition est un manifeste de concision et d’écriture raffinée. Quand on parle ainsi à l’esprit, nul doute que le cœur réagit. Les thèmes, brodés, sculptés, ciselés, sont assemblés avec une subtile ingéniosité qui entremêle rythmes et harmonies comme une évidence. Une évidence qui fait oublier leur complexité architecturale.

Ruocco a le sens du dosage et l’art de ne pas en faire trop. Am I Asking Too Much ? se visite en six titres et en un peu plus de 43 minutes seulement. Mais ce sont 43 minutes de très grand bonheur et de véritable musique.