Scènes

Jours tranquilles aux Flâneries

Reims 2007 : jazz, roses et champagne


Les Flâneries de Reims fêtaient leur majorité en cette année 2007. Surtout réputé dans le monde du classique, le festival s’ouvre progressivement au jazz depuis quelques années, sous l’impulsion de Francis Le Bras et de l’association Djaz 51. Cette année, le festival avait même décidé d’assumer franchement ce mélange des genres en organisant de nombreuses rencontres entre jazz et classique. Le « plus » des Flâneries, c’est aussi le traditionnel « concert pique-nique », qui regroupe tous les ans plus de 10.000 auditeurs-gourmets. Cette année le festival accueillait le Jus de Bocse de Collignon et le Syndicate de Zawinul, pour un des derniers concerts du claviériste avant sa disparition le 11 septembre.

Mauvais temps pour bonnes rencontres.
Jeudi 28 et vendredi 29 juin 2007
Flâneries dans Reims

En ce dernier week-end de juin, le temps est maussade sur la capitale du Champagne, le temps refroidit les ardeurs et toute velléité, mais c’est avec curiosité que le public s’amasse sur l’Esplanade Fléchambault pour assister au concert du trio de Norbert Lucarain. Malheureusement pour le vibraphoniste virtuose, le mauvais temps aura raison du public qui s’échappera au goutte à goutte au fil du concert. Il faut reconnaître que le monde de Norbert ne s’adapte que très peu à la lumière du jour, obsédé qu’il est dans ses titres par la nuit. La musique de Lucarain provoque soit l’adhésion soit le rejet : s’il fait fuir quelques vieilles dames, nombreux sont les spectateurs à goûter sa musique de « cinglé ». En revanche, le public a tort de ne pas rester assister à la rencontre qui suit le concert : on y découvre un Lucarain très drôle et pédagogue. Une telle rencontre permet de mieux saisir la démarche d’un musicien davantage bercé par le rythme que par la mélodie, par l’expérimentation que par l’ostentation : tant mieux pour les oreilles averties, tant pis pour les oreilles paresseuses.

I. Olivier © H. Collon/Vues sur Scènes

Etrangement, on retrouve le lendemain, vendredi 29 juin, deux caractéristiques de la veille : les caprices du temps et les plaisirs de la rencontre. Le temps a joué des tours au quartette d’Isabelle Olivier. Son concert, qui devait avoir lieu en extérieur, est transféré à la Comédie. Ce qu’on perd en convivialité, on le gagne en beauté du son et du cadre, mais aussi en confort. On découvrir un public de tous âges, attentif et sage, peut-être un peu même trop pour pousser les musiciens dans leurs retranchements créatifs. Avec Isabelle Olivier, de toute manière, on est assuré d’assister à chaque fois à un concert différent avec ce jour-ci un « Jennifer’s Mood » hypnotisant ou une « Valse Marine » tout en finesse. L’absence de Sébastien Texier aux cuivres offre plus d’espace et, en un sens, de responsabilité à un Johan Renard (violon) des grandes après-midis. Antoine Banville s’en donne, pour sa part, à « corps joie », se levant pour obtenir certaines vibrations de ses cymbales.

Le concert (trop vite) fini, on s’échappe à la Médiathèque Croix-Rouge pour se retrouver nez à nez avec la seconde constante du week-end : les rencontres, en l’occurrence ici avec Jean-Louis Pommier, tromboniste (entre autres) de l’ONJ. Entouré d’une exposition consacrée à l’univers du manga, la rencontre débute par une prestation apéritif d’une demi-heure en duo avec Francis le Bras au piano. Dans l’entretien avec le public, Pommier parle avec décontraction et flegme de son implication dans la vie musicale, du label Yolk qu’il a cofondé, de la disparition des disquaires « engagés » et mélomanes, capables d’aiguiller l’auditeur curieux mais perdu dans l’océan de la production musicale actuelle. La discussion digresse petit à petit sur le jazz, défini par le musicien en termes de pulsation : « le jazz est encore en marche, et on espère qu’il n’arrêtera jamais sa course », s’accorde-t-il à dire avec Le Bras. Les deux compères se retrouvent sur l’idée de transgression, le jazz consistant à transgresser tout ce qui a été appris : mais il faut apprendre les règles avant de comprendre et de saisir la transgression. C’est ainsi avec la sensation d’avoir véritablement fait une « rencontre » que le public quitte la Médiathèque en attendant impatiemment le création du lendemain : The New Rose

Zé Jam © H. Collon/Vues sur Scènes

Les Contes de Rose Manivelle, véritable échange entre six musiciens de jazz européens, sont nés à la suite d’une commande d’écriture des Flâneries Musicales d’été de Reims au violoncelliste Vincent Courtois entre 2002 et 2004. Trois ans plus tard, Courtois revient aux Flâneries présenter Rose Manivelle : The New Rose lors d’une soirée exceptionnelle. Le projet affiche désormais une couleur résolument électrique, avec la guitare de Maxime Delpierre ainsi que le Fender Rhodes de Francis Le Bras. Il associe toujours le slam du charismatique André Ze Jam Afane au groove attisé par la section rythmique d’Olivier Sens et Guillaume Dommartin. The New Rose propose la mise en scène du récit et de l’improvisation en une seule et même trame, ponctuée par les déflagrations libertaires du saxophoniste Marc Baron, tout en se tournant vers des sonorités pop-rock « seventies » proches du Velvet Underground ou du « glam » rock.

V. Courtois © H. Collon/Vues sur Scènes

Rose Manivelle : The New Rose
Samedi 30 juin 2007
Le Manège, Reims.

Une création (re)créative… Le public de Reims, qui s’est déplacé en nombre pour découvrir la nouvelle création de Vincent Courtois, n’est pas déçu du voyage. Car New Rose possède une qualité essentielle : transporter l’auditeur de style en style sans jamais donner l’impression de digresser. Le fil conducteur de la création se matérialise en la personne d’André Ze Jam Afane, conteur débordant d’énergie, de mots et d’émotion. Chez lui, même les silences sont rythmés et s’expirent avec engagement – au point que certains spectateurs prirent la poudre d’escampette à l’écoute d’un morceau dénonçant le racisme avec brio et violence.

F. Le Bras © H. Collon/Vues sur Scènes

La majorité des spectateurs restés à leur place dans le magnifique Manège de Reims furent charmés par le mélange des genres : entre musique classique contemporaine, rap, jazz (du plus classique au plus contemporain), rock, big band, musique africaine ou accents orientaux, New Rose propose une musique inclassable, captivante, proche à certains moments d’un Abd Al Malik. A la différence de ce dernier, New Rose n’offre ni un récitant escorté par des musiciens, ni un texte qui ornemente une musique : c’est une œuvre entière et (presque) totale, clin d’œil à un opéra rock moderne. Le violoncelle aux sonorités ultramodernes s’unit aux notes enfiévrées du saxophone de Marc Baron, le Fender Rhodes répond à la guitare, tandis que la paire rythmique Sens/Dommartin s’aventure à d’autres moments vers une électro jamais répétitive.

M. Baron © H. Collon/Vues sur Scènes

Vincent Courtois a réussi son pari : offrir une suite aux Contes de Rose Manivelle sans tomber dans la redite, mais en élevant encore le niveau vers une musique mariant à la perfection les notes et les mots. En sortant de la salle les oreilles pleines de rythmes, on se dit que l’avenir du jazz se jouera au carrefour des styles, comme en cette fraîche soirée de juin 2007 où un vent de liberté souffla sur la Cité des Sacres.

O. Sens © H. Collon/Vues sur Scènes

Pique-Nique Concert
Samedi 21 juillet 2007
Parc de Champagne, Reims.

Dans une ambiance champêtre bonne enfant, le Concert Pique-Nique constitue en général le point d’orgue du festival. Dans l’imposant Parc de Champagne, le public accueille comme il se doit le régional de l’étape : Médéric Collignon accompagné de son maintenant célèbre Jus de Bocse. Entre bulle de BD et bulle de champagne, la formation de l’année offre un concert tendu à souhait : Médo et ses acolytes revisitent un Miles période Bitches Brew avec plein de fougue. Mention spéciale au claviériste Franck Woeste qui doit assurer tout seul des passages où Davis marie deux pianistes. Tel Nietzsche, le Jus de Bocse ausculte les idoles, et même si leur musique n’est pas (très) facile d’accès, le public reste attentif, du moins poli.

J. Zawinul © H. Collon/Vues sur Scènes

Après quelque temps d’attente et un parc à présent assaillis par les nappes et les paniers pique-nique, le pianiste original de Bitches Brew, Zawinul, et son Syndicate débarquent sur scène. Le pianiste autrichien, que tout le monde dans les milieux autorisés sait très affaibli, fait le « show » et le « job » comme on dit. Et même si l’on peut rester sceptique à l’écoute de quelques passages un peu trop « world » officielle pour être honnête, il faut reconnaître deux choses : le Syndicate délivre une énergie communicative, comme le veut l’expression consacrée, et Joe savait s’entourer à la perfection. Difficile de faire mieux que Paco Sery (batterie), Linley Marthe (basse) ou encore Sabine Kabongo au chant. Tous les passages en duo avec Zawinul sont les plus prenants, bien plus intimistes que la grosse machine Syndicate dans sa totalité. Le concert se ponctue par un feu d’artifice dans une nuit remplie de bougies qui donne rendez-vous l’année prochaine pour une programmation, on l’espère, aussi réjouissante.