Entretien

Julien Caumer

Les Disquaires qui ferment, la Fontaine qui rouvre. Le jazz à Paris n’est décidément pas un long fleuve tranquille. Julien Caumer nous explique les tribulations du Laboratoire de la Création.

  • Vous avez annoncé le 25 octobre la fermeture des Disquaires. A lire votre communiqué, cela ressemble très fort à un problème économique. Est-ce un dommage collatéral de la crise financière ?

En partie seulement. Il y a trois handicaps liés à la période. Le premier est que tous les lieux de diffusion ont observé une baisse particulièrement conséquente de leur fréquentation depuis plusieurs mois, et a fortiori les jeunes structures comme Les Disquaires qui sont inévitablement plus fragiles puisqu’elles ne bénéficient pas d’une notoriété construite au fil des ans. Le second handicap est que l’on constate que toutes les salles sont contraintes de multiplier les programmations de têtes d’affiche. Nous aussi ne remplissions que pour les stars. Or la vocation du Laboratoire de la Création, ce sont les artistes en développement, comme nous l’avons démontré avec Yaron Herman, Anne Paceo, Sophie Alour ou Géraldine Laurent, et comme nous souhaitions le démontrer avec Amy Gamlen, Pierre Perchaud, Boris Pokora, ou Christophe Panzani. Troisième handicap de l’époque, la ligne politique dure suivie par la Préfecture, qui nous a empêché d’avoir un horaire de concerts convenables.

Les concerts à 20 heures, ce n’était donc pas un choix, cela vous a été imposé ?

En quelque sorte, puisque les Disquaires devaient fonctionner sur un modèle économique simple : 50% jazz / 50% DJ. Donc partage du temps. Sans autorisation de nuit, que la Préfecture n’a toujours pas accordée au bout d’un an, cela nous obligeait à finir les concerts à 22h30, heure à laquelle les concerts de jazz commencent, à Paris ! Tout le public arrivait pour les derniers morceaux, on ne pouvait décemment pas le faire payer. Si nous avions pu finir le jazz à minuit, c’était sauvé. Pourquoi la Préfecture refusait ? Parce que trois voisins dans une rue adjacente ont porté plainte pour un bruit dans la rue qui ne pouvait pas être lié à notre activité !

Ça rappelle un peu le cas de la Fontaine, non ?

C’est exactement la même chose : la rigidité de la Préfecture. Pour La Fontaine, la plainte venait de si loin qu’on ne pouvait pas comprendre que la plaignante soit gênée. Il suffit de venir sur place, d’enquêter pour constater qu’il n’y a pas de gêne, qu’une plainte, ça peut être abusif. Mais le fonctionnaire de police reste à son bureau et exige qu’on lui amène le papier qui prouve que c’est aux normes acoustiques. Mais si ça ne gêne pas vraiment les voisins, alors pourquoi imposer les normes ? Ça, c’est un drame. La Fontaine, c’est un petit troquet 1926, ça ne peut pas être insonorisé sans être détruit et reconstruit en plâtre. Même constat aux Disquaires : il aurait suffi de se déplacer pour constater que les voisins à l’origine de la plainte ne pouvaient absolument pas être gênés par les Disquaires, mais uniquement par une autre salle située entre eux et nous, à cent mètres de là ! Le respect du voisinage est un souci majeur de tous les exploitants aujourd’hui. Plus personne ne néglige cet aspect. L’avenir de la musique à Paris pour les artistes en développement est entre les mains de la Préfecture. Si elle ne comprend pas qu’il faut réserver un sort aménagé et tolérant pour les lieux de diffusion, c’en est fini du Paris des troquets.

Ce « partage du temps » : 50 % jazz, 50 % DJ, quelles en étaient les raisons ? Politique artistique ? Impératifs économiques ? Un peu des deux ?

C’était d’abord un choix économique, puisqu’en clubbing-DJ les recettes sont sans commune mesure avec ce que le jazz live sait faire. Si l’on veut un club de jazz à la fois insonorisé et à bas prix pour le public, le modèle économique est impossible. Il faut mêler les deux activités. Mais ce choix était aussi artistique : ce qui sépare un DJ d’un musicien, c’est la technique, pas la culture musicale. Certains DJ pouvaient en remontrer aux musiciens dans ce domaine, leur collection de disques de jazz en on fait blêmir plus d’un. En retour, la connaissance que les musiciens de jazz pouvaient avoir de la musique que passaient les DJ les a aussi scotchés. Ce modèle, c’est une réponse à la réalité musicale d’aujourd’hui.

Quel bilan tirez-vous de cette expérience ?

Le bilan est simple : l’avenir des petites salles de diffusion à Paris est entre les mains de la Préfecture. Si elle admet l’idée que Paris n’est pas Paris sans petits bistrots avec des musiciens, alors un patrimoine est sauvé. On sait aujourd’hui qu’il faut respecter le voisinage. C’est acquis dans la conscience du public comme des exploitants. Ce qui est perdu, en revanche, c’est le souvenir que, depuis Lutèce au moins et sans discontinuité, le soir et la nuit parisienne ce sont de petits troquets avec des musiciens dedans. C’est un patrimoine. Et à ce titre ça se protège.

On ne compte plus les lieux jazz qui connaissent des difficultés : les Sept Lézards à Paris, L’Arrosoir à Châlon-sur-Saône est passé très près… C’est une fatalité ? Un complot ?

Il n’y a aucun lien ni point commun entre les histoires de chacun, il me semble. Les 7 Lézards par exemple n’ont pas rencontré de difficultés : ça marchait. Ça a fermé pour des raisons immobilières et urbanistiques étrangères à la question de la commercialisation de la musique vivante. Il y aura toujours des fermetures et des créations, la musique n’échappe pas aux modèles économiques traditionnels, malgré les aides et subventions.

La Fontaine rouvre au moment où le jazz aux Disquaires ferme ; expliquez-nous ?

C’est un acte de résistance douce. On ne peut pas rester les bras ballants. La Fontaine ne sera jamais aux normes acoustiques. Mais la voisine qui avait porté plainte est totalement désolée de voir les conséquences de son acte. On reprend, mais c’est seulement un concert par semaine, et le samedi soir en plus. Qui serait gêné par ça ?!

Même si ça se termine mal, quels beaux souvenirs gardez-vous ?

Les beaux souvenirs, ce sont les concerts magiques du dimanche soir, où Stéphane Belmondo, avec Laurent Fickelson et Sylvain Romano, donnaient tellement que la salle chavirait. C’était assez dément, on sentait que les gens se disaient qu’ils vivaient un moment unique, qu’ils avaient une chance folle. On a eu de vrais frissons. Je garde aussi le souvenir d’un Aldo Romano royal, qui tenait à jouer coûte que coûte le dernier concert, comme le capitaine du Titanic. Droit à la barre.