Entretien

Karim et Abdès Gherbi

Entretien avec les vainqueurs des « Trophées du Sunside » 2005

Karim et Abdès Gherbi sont deux frères musiciens, respectivement contrebassiste et batteur de jazz, fondateurs du Karim Gherbi Quintet. Cette formation haute en couleur qui développe son projet « Hommage à Horace Silver » depuis deux ans a donc remporté les « Trophées du Sunside » 2005.

On découvre en interview-présentation avec Karim et Abdès Gherbi deux musiciens bien dans leur tête, « Sur le marché de la musique » depuis peu, bons vivants et humbles face à l’étendue de la musique. La rencontre tourne vite à la discussion entre passionnés de musique.
En cette fin d’été 2005, nous nous retrouvons autour d’un verre au restaurant « La Boulangerie » à Ménilmontant, repaire des Gherbi Bros. : musiciens et complices.

Citizenjazz : Pour 2005, le Sunset-Sunside m’a proposé d’être jury des trophées du Sunside et c’est là que j’ai pu vous entendre jouer pour la première fois avec le Karim Gherbi Quintet « Hommage à Horace Silver ». Cela a été pour moi un plaisir de vous écouter et une véritable découverte : deux solistes très intéressants et un jeune pianiste au style très frais. Je n’ai pas été le seul à apprécier le concert puisqu’au final, vous avez remporté les « Trophées du Sunside » 2005.

Karim Gherbi : En effet, c’était une bonne expérience. Il y avait du public pour un jour de semaine, le lendemain de la Fête de la Musique, le 22 juin.

Vous êtes, toi et ton frère Abdesslem, des musiciens d’origine algérienne et aussi des jazzmen.

Karim : Oui, nos parents sont de la région de Tlemcen, dans l’ouest algérien. C’est une grande ville d’artisanat et de tradition musicale ; cela a même été la capitale de la musique andalouse. D’ailleurs il y a toujours un festival de musique andalouse.
Mon père est arrivé en 1963, ma mère et mes grands frère et sœurs en 1967 à Dijon. Les trois enfants les plus âgés sont nés en Algérie, les plus jeunes dont Abdès et moi en France. Nous sommes une famille de sept enfants.

Karim Gherbi - ©Lorenzo Scaraggi

C’est une famille de musiciens ?

Karim : Non, pas particulièrement. Mais nous avons grandi dans un univers musical très fort. Nos parents écoutaient beaucoup de musique arabe. Notre grand frère est danseur de haut niveau ; il adore les danses de salon : rock, paso-doble et tango. Il fait beaucoup de concours : il est classé quatrième français et a un rang au niveau européen.

Comment s’est passée votre intégration ?

Karim : Elle s’est super bien passée pour plusieurs raisons. Une partie de la famille est venue en France, nous avions donc un environnement familial fort. Par contre, mon père travaillait à l’usine avec les horaires d’usine. On le voyait peu. Mais après une période de chômage, il s’est mis à son compte pour vendre des fruits et légumes sur les marchés. J’ai alors découvert un autre visage de mon père : il avait un sens prononcé du commerce et aimait converser avec ses clients.

Puis nous avons tous les deux travaillé avec lui, on l’a mieux connu ainsi. Mon père s’est parfaitement intégré sans oublier sa culture. Nos parents nous ont toujours parlé arabe et nous ont appris les traditions en respectant ce qui se passe autour. Ils suivaient nos résultats scolaires de près : il ne fallait surtout pas aller bosser à l’usine une fois en âge de travailler.

Que vous reste-t-il de votre culture algérienne ?

Karim : Une très grande famille en France et en Algérie ! [Rires].

Abdès Gherbi : Nous devons bien avoir une cinquantaine de cousins au minimum.

Karim : Il nous reste aussi l’arabe : notre première langue maternelle ! En parallèle de l’école élémentaire, nous sommes allés à l’école arabe pour apprendre à lire et écrire l’arabe. Aujourd’hui, je suis très content de pouvoir lire arabe, d’aller en Afrique du Nord et pouvoir discuter avec les habitants. Je suis très heureux d’avoir cette double culture que j’essaie de transmettre à mes deux enfants.

Comment êtes-vous arrivés au jazz ?

Karim : Il y a une très forte tradition musicale dans la famille autour des fêtes et des mariages. Petits, nous jouions des percussions. Notre grand frère avait une bonne culture musicale, il nous a fait écouter beaucoup de soul music et le jazz est venu petit à petit en partie grâce à lui.

Abdès : C’est grâce à Karim que j’ai écouté du jazz.

Karim : J’ai d’abord écouté de la musique funk, de la musique de Chicago et de la salsa. Les rythmes me plaisaient beaucoup et de fil en aiguille j’ai fini par écouter des standards. Il y a eu aussi le fait d’avoir envie de jouer de la musique : je me suis acheté une basse électrique à 22 ans pour me faire plaisir et finalement je me suis rendu compte que le son électrique amplifié me gênait.

Alors un jour, je suis allé m’acheter une contrebasse. Du coup, j’ai pris mes premiers cours avec Riccardo Del Fra. Il m’a mis le pied à l’étrier et m’a indiqué plein de choses à écouter. Finalement c’est comme ça que j’ai vraiment découvert le jazz.

Sans se consulter et à trois mois d’intervalle, mon frère Abdès, qui était à Dijon et moi à Paris, a commencé à jouer de la batterie : j’étais venu le voir avec ma basse, un peu pour l’épater, et il m’a répondu : « Super, j’ai un local, je joue de la batterie ». [Rires].

Abdès : J’avais 19 ans et Karim 25.

Et toi, Abdès, tu as commencé par jouer quel type de musique ?

Abdès : Quand Karim est venu à Dijon, il m’a tout de suite conseillé de jouer du jazz. A Dijon, j’ai joué dans plein de groupes différents de rap et de jazz.

Une fois que vous vous êtes trouvés musicalement, quels chemins avez-vous pris ?

Abdès : Karim était étudiant à Paris et moi à Dijon. Nous profitions des étés pour partir en Bretagne ou dans le sud-ouest pour aller jouer dans les cafés et les marchés avec un groupe qu’on avait monté et avec qui on répétait. Nous cherchions des plans sur place et ceci dès la première année. On parcourait les villes dans mon van, avec un set minimum pour mo i : caisse claire et balais. On jouait des vieux standards dans la tradition : Louis Jordan, Ella Fitzgerald

Abdès Gherbi ©Lorenzo Scaraggi

Karim : Il y avait une chanteuse avec nous. Puis le groupe a changé, notre guitariste, Charles Planchon nous a présenté Bertrand Planchon, son frère saxophoniste, et la formation a duré trois ans. On répétait tout l’hiver et le soir. Dès que l’été arrivait, on partait sur les routes. Ça tournait déjà bien.

Vous étiez alors professionnels ?

Karim : Non, j’étais graphiste et Abdès était en maîtrise de mathématiques à ce moment-là. On jouait pour le loisir. Après avoir travaillé huit ans dans la même société, j’ai été licencié. J’en ai profité pour me poser les questions essentielles quant à savoir ce que j’allais faire : continuer dans la même voie ou devenir musicien. Je jouais depuis huit ans de la contrebasse et pour devenir professionnel, il me fallait travailler sérieusement l’instrument.
J’ai alors rencontré Bernard Maury qui a accepté de me prendre dans son école la « Bill Evans Piano Academy ». Bernard est mort il y a trois semaines dans la nuit du 31 juillet au 1er août. C’était un homme généreux. A l’époque, je suis allé le voir et je lui ai dit : « J’ai 30 balais, je suis graphiste et j’ai besoin d’une formation musicale ». Il a accepté de me prendre dans son école où je suis resté deux ans et c’est comme ça que tout a commencé. J’y ai rencontré Gaël Rakotondrabé, le pianiste de notre quintet. C’est un réunionnais d’origine malgache, âgé de 22 ans.

Abdès : C’est une école essentiellement de pianistes où l’on était amené à accompagner pratiquement tout le monde lors des ateliers ou des séances de travail.

Tu étais aussi dans cette école, Abdès ?

[Rires] - Abdès (montrant son frère) : Je l’ai suivi ! Il y avait besoin de batteurs et moi je cherchais des formations pour jouer, et jouer encore. J’y ai fait plein de rencontres.

Karim : Pour ma part, j’y ai rencontré Laurent Marode, qui est pianiste. On ne le connaît pas encore mais ça ne saurait tarder. Nous avons travaillé ensemble le duo.
Laurent Marode vient de finir un album, où il joue ses propres compositions et arrangements avec son sextet. Il se compose de David Sauzay (sax), Rasul Siddik (tp), Gerry Edwards (tb), Fabien Marcoz (cb) et mon cher frère à la batterie. Je trouve que pour un premier album, c’est une belle réussite.

Aujourd’hui, Laurent et moi travaillons beaucoup ensemble : nous jouons dans des ciné-concerts sur des films muets du patrimoine : Buster Keaton, Charley Chase, « L’aurore » de F.W. Murnau, « Gosses de Tokyo » de Yasujirô Ozu et Harold Lloyd pour la rentrée. Petit à petit, on a contacté des cinémas et des associations qui nous ont passé commande sur des films. J’ai déjà 25 dates d’octobre à juin sur « Safety Last » d’Harold Lloyd. On fait des duos et des trios d’accompagnement musical dans les salles.

Comment procèdes-tu pour ces accompagnements musicaux ?

Karim : On compose la musique du début à la fin. On commence par décortiquer le film, on dresse un état des lieux des personnages, des ambiances et des endroits. De là, on compose spécialement pour les différents points relevés par cet état des lieux. Par la suite, on distribue la musique le long du film en travaillant les charnières entre les différents thèmes.
Cette année, on a travaillé trois mois sur trois films différents. C’est un tout autre travail que les concerts classiques : tu tournes le dos au public et tu es au service des acteurs, des images et de l’histoire. Lorsque je joue, j’essaie de me positionner comme un personnage qui est dans l’action. C’est-à-dire que je peux soit jouer une romance au moment opportun, soit monter le tempo lors d’une poursuite, ou encore faire la pompe (PS1) pour une scène avec des personnages burlesques.
On arrive même à faire rentrer des riffs funky, des pédales et des accords plus ouverts. Sur « Gosses de Tokyo » d’Ozu, on s’est amusés à jouer des blues qui sonnent un peu oriental ! Tu fais une mélodie harmonisée en quartes, cela sonne tout de suite Extrême-Orient.

Karim Gherbi - ©Lorenzo Scaraggi

Comment se passent les improvisations sachant que le temps est compté face aux différentes scènes du film ?

Abdès : Oui, vous êtes trois : les deux musiciens et le film. En fait, il y a un fil conducteur et des points de rendez-vous. Le but est de concentrer les saveurs.

Karim : On n’est pas là pour improviser : on prend deux ou quatre mesures. Le leader, c’est le héro du film. Cette année, c’était Charley Chase ; il crève l’écran ce type !
Tu n’es pas en situation de concerts, la salle ne te regarde pas.
Alors si la salle rigole au bout de deux minutes et que ça fonctionne, nous sommes portés par les rires ! Si la salle a du mal à réagir, je ressens une certaine tension entre Laurent Marode et moi et là nous sommes en situation de jeu devant un public : on peut penser que les gens sont plus en train d’écouter la musique que de regarder le film.
En général, les gens écoutent la musique et nous regardent pendant trois ou quatre minutes puis ils suivent le film et nous oublient.
Ils pensent à nous quand il s’agit de courts métrages ou au moment des génériques.

Par quels organismes travailles tu sur ces projets ciné-concerts ?

Karim : On travaille surtout avec une association qui s’appelle l’ADRC (Agence pour le Développement Régional du Cinéma) qui a été mise en place pas Jack Lang dans le but de contrer la fermeture de certains cinémas d’arts et d’essais. En fait, par certains aménagements, des petites salles peuvent faire venir aussi bien « La guerre des étoiles » qu’un film des années 30 à l’occasion d’un cycle. La partie film du patrimoine est dirigée par Rodolphe Lerambert et Anne Rioche. Ce sont eux qui ont mis en place ces ciné-concerts auprès des salles.

Et la collaboration musicale entre les deux frères Gherbi a débuté quand ?

Abdès : Il y a deux ans, nous avons monté le quintet.

Karim : Après avoir quitté la « Bill Evans Piano Academy », nous voulions une formation un peu régulière avec laquelle nous pouvions faire un travail de fond ; Abdès m’a proposé cet hommage à Horace Silver et ça a débuté ainsi.

Pourquoi Horace Silver, pianiste de surcroît ?

Abdès : C’est d’abord un super arrangeur : quand Horace Silver interprète un morceau, ce n’est pas une articulation de type thème + impros + thème. C’est plutôt une introduction, puis un thème, peut être des backs sur des solos, une paraphrase du thème puis il re-expose le thème ou un bout de fin de thème… sans oublier la coda !
C’est vraiment une articulation très complète et riche. Sur les thèmes, les parties de piano sont vraiment écrites, tout est pensé. Cela nous a obligé à intégrer sa musique et la finesse de ses arrangements, à comprendre le personnage jusque dans les moindres détails. C’est très formateur et au début, ce n’était pas évident. Aujourd’hui, le quintet se régale et continue à développer le répertoire qui se compose à ce jour de vingt-deux morceaux d’Horace Silver.

Le choix d’un hommage à Horace Silver s’est décidé par goût pour sa musique et son esthétique musicale ?

Abdès : Tout à fait.

Karim : De plus, à part un album de Dee Dee Bridgewater avec les frères Belmondo en 1994, je ne connais pas beaucoup de monde qui joue à fond le répertoire d’Horace. Et en fouillant, on découvre des perles et des morceaux parfois difficiles à monter.

Abdès : La musique d’Horace est très complète : aussi bien au niveau rythmique que pour les soufflants, tout le monde doit être à sa place et donner de l’énergie à la musique.

Karim : C’est avant tout un travail de groupe et pas d’un instrumentiste mis en avant qui serait accompagné. Quand on écoute les albums d’Horace Silver, les membres du groupe sont soudé s : dans les impros, les musiciens écoutent la basse qui avance ou la batterie qui retient.
Au début, nous avons eu du mal à faire renaître l’ambiance de sa musique : soit on ralentissait, soit on accélérait, mais nous ne savions pas pourquoi. Puis à force d’écouter les morceaux, tu finis pas comprendre que le bassiste est devant le reste du groupe, le batteur est lui juste derrière et là la sauce prend ! Tu découvres ce groove propre à Horace Silver.

Le public connaît surtout « Song for my Father » de Silver. C’est un album formidable. Le fait de jouer d’autres morceaux que ceux connus ouvre des horizons nouveaux au public…

Karim : Nous le disons toujours : achetez ses albums, vous allez vous régaler.

Si je comprends bien, vous avez donc travaillé pour reproduire, si je puis employer ce terme, la musique et le groove d’Horace Silver tels qu’ils existent.

Abdès : C’est plutôt se servir de cette énergie pour nous permettre d’avancer : on se nourrit d’Horace Silver actuellement pour que cela rejaillisse plus tard sous une autre forme. Ce travail nous permet d’avancer et d’évoluer dans un premier temps !

Quel serait l’aboutissement de ce projet ?

Karim : Ce projet prend forme après deux ans de travail : on commence à jouer dans de belles salles et dans des festivals. Nous sommes contents du travail fourni à deux, à trois et en quintet. C’est un travail personnel sur la durée parce que je suis un jeune musicien, malgré le fait que j’ai presque 40 ans … [Rires].
Il y a donc un travail à faire : jouer d’abord ce qui a déjà été joué et puis après ajouter nos propres influences, les choses propres au quintet.
Aujourd’hui, je me considère comme professionnel, mais l’apprentissage dure encore.

Abdès : On est toujours en phase d’apprentissage : il y a tellement de choses qui ont été faites, on est toujours obligés d’écouter, de découvrir, de travailler.

Lors de votre concert pour les « Trophées du Sunside », le jury a remarqué que vous aviez emprunté les arrangements d’Horace Silver … alors que ce même jury devait noter les arrangements …

Karim : Oui, tout à fait, c’est voulu.

A quand les vôtres dans ce même répertoire ?

Abdès : Ce n’était pas le propos. Il faut se former d’abord. Encore… [Rires] On y travaille en fait. Mais pour ce projet-là, nous avons conservé les arrangements tels qu’ils étaient. Le but de cet hommage est la musique d’Horace Silver… avec ses arrangements. C’est pleinement voulu.

Karim : Complètement ! On essaie de retrouver l’énergie originelle de ses quintets.

Dans votre quintet, il y a un trompettiste : Ludovic Louis. C’est aussi une découverte. Parlez nous de lui…

Karim : Ludovic vient du Havre et est âgé de 25 ans. Son père est martiniquais. Il joue beaucoup de salsa et a accompagné cet été le groupe de « rap cubain » Orichas. Il a joué aussi avec Jimmy Cliff, il est trumpet-leader au big band de l’armée de l’air à Balard. Il a remplacé Fabien Mary qui ne pouvait pas jouer ce soir-là.

Karim Gherbi Quintet - ©Lorenzo Scaraggi

On remarque aussi le pianiste Gaël Rakotondrabé. Lui est plus jeune encore ; ce qui m’a agréablement surpris : c’est son jeu plein de fraîcheur, empreint à la fois de naïveté et d’assurance… Enfin, on retrouve une fois de plus cette valeur sûre qu’est le saxophoniste David Sauzay.

Abdès : Je jouais avec Hugo Lippi et comme les deux sont amis, David est venu pour boeufer. C’est là que nous nous sommes rencontrés. Karim aussi était là. Nous avons tout de suite sympathisé.

Karim : Puis on s’est retrouvé dans un plan salsa avec Ludovic Louis. Je l’ai invité pour la soirée. Les deux sont venus jouer avec nous, sans à priori ni arrière-pensées, tout de suite j’ai vu que ça collait bien entre les deux. On peut penser qu’un mec comme David Sauzay, qui a du métier, n’a pas forcément envie de perdre son temps avec deux illustres inconnus comme mon frère et moi. En réalité, nous avons eu un très bon accueil de sa part et le voilà dans notre quintet. David joue tout le temps et avec tout le monde, c’est vraiment son pied, il adore ça ! En plus, il régale tout le monde dans les boeufs : le nombre de standards qu’il connaît, c’est impressionnant ! David est un passionné de la musique au même titre que le batteur Mourad Benhammou, qui est un excellent musicien doté, lui aussi, d’une grande culture.

Abdès : L’autre jour, je suis allé chez Mourad : il m’a fait écouter des chanteuses totalement inconnues et très intéressantes ! Pas une chanteuse, mais plusieurs !

C’est un musicien qui va aux Etats-Unis à la rencontre de musiciens qui le passionnent …

Karim : Oui, il va les voir : directement, au culot. Il a un super relationnel !

Il est prévu de jouer avec lui aussi ?

Abdès : En tant que batteur, ça risque d’être difficile pour moi. [Rires]

Karim : Dès que l’occasion se présente, je suis partant. En fait, on avait fait une session avec Pierre de Bethmann et Mourad pour un film. On a fait huit prises et c’était un régal.

Avez-vous subi des influences de musiciens qui jouent du même instrument que vous ?

Karim : J’ai plein d’influences, en fait. Je me nourris de plein de choses : Ray Brown, j’adore. Il est lyrique, il accompagne et ses lignes de basses sont mélodieuses en même temps. C’est la grande classe. Ensuite, j’aime tous les grands bassistes.

Abdès : Plein de batteurs dans toutes les périodes : Roy Haynes, Art Blakey, Philly Joe, Jack De Johnette

Des rencontres avec ces musiciens qui vous ont influencés ?

Karim : Ray Brown quand il avait 67 ans. Je suis vraiment content de l’avoir vu avec Benny Green et Greg Hutcherson. C’est un des plus beaux souvenirs de concerts de ma vie. C’était une leçon d’humilité et de grandeur à la fois. Il était très posé et sa main se déplaçait à la manière d’un chat sur le manche de la contrebasse. C’était quelqu’un de généreux avec le public et ses musiciens. Ce sont des images que je garderai toujours.

Abdès : C’est vrai que c’est sympa de voir les musiciens jouer. J’ai vu Joe Chambers, batteur que j’adore et que j’ai vu en concert avec Freddie Hubbard en octet à Paris. Et maintenant, quand j’écoute ses disques, je mets une image sur la musique, dans l’action. Tu apprends encore plus et c’est un plaisir de sons et d’images.

Karim : Sinon, j’adore Charlie Haden qui est un grand musicien par sa présence et par son intelligence des notes. C’est aussi la grande classe : la basse dans sa fonction première. Je l’ai entendu accompagner Joe Louis Walker à la guitare et James Cotton au chant et à l’harmonica : ils ont formé un trio de blues très roots : ça pue le champ de coton ! Ca pue le Mississipi ! [Rires] C’est grandiose. Ils ont fait un album qui s’appelle « Deep In the Blues ».

En dehors du quintet et son actualité, vous composez ?

Karim : Pour moi, mes compositions se trouvent dans tout ce que je fais pour le cinéma. C’est un travail qui prend beaucoup de temps, mais très plaisant.

Abdès : Pour ma part, j’y vien. Je commence plutôt par arranger. D’ailleurs, le quintet va tester des choses bientôt. Sinon, je vais être amené à composer sur des projets dont je ne peux pas parler pour l’instant. Disons qu’ilsi allient musique et théâtre sous forme de cabaret et de spectacle. Mais à priori, ce ne sera pas de la composition pour le jazz.

Karim, tu disais que tu assurais le travail d’agent pour le quintet.

Karim : Oui. On a commencé par faire le tour de l’Officiel des Spectacles avec Isabelle, mon amie, ma femme, la mère de mes enfants. Elle m’a donné un gros coup de main et m’a montré comment m’y prendre. Nous avons donc enregistré une maquette de cinq morceaux avec comme solistes Fabien Mary et David Sauzay, puis j’ai rédigé une documentation. Les deux premières années, nous avons obtenu cinq ou six dates à chaque fois. Maintenant avec les « Trophées du Sunside », j’espère que ça va décoller. Ensuite je prospecte les festivals et Isabelle et moi les appelons pour savoir quelle suite sera donnée au projet s’il les intéresse.

Karim Gherbi Quintet - ©Lorenzo Scaraggi

Et toi en tant que musicien, comment te positionnes-tu pour prospecter et vendre ton projet ?

Karim : Très simplement : à l’intuition, en fonction de la personne. Je travaille maintenant avec « Jazz 2004 » : quand on a couvert une région, on a déjà fait un beau boulot. Les résultats n’arrivent pas tout de suite : je suis en contact avec des programmateurs de festival depuis deux ans ; ils insistent pour que je les rappelle pour une programmation future, car ils ont déjà prévu de faire passer des groupes qu’ils apprécient aussi. La difficulté tient aussi aux budgets : les subventions pour la culture sont moins importantes que les années précédentes. D’autre part, beaucoup de festivals sont spécialisés dans certains créneaux de jazz, il y en a moins de très éclectiques. Enfin, il y a des festivals avec des axes de programmation définis chaque année, et auxquels notre musique ne colle pas. En général, les festivals sont très clairs dans leur choix, j’aime autant ça pour travailler. Tout est une question d’organisation. Jusqu’à maintenant, tous les festivals où nous avons été programmés se sont bien déroulés. Le dernier était le Festival de Roquefère près de Carcassonne, « Jazz sous les Châtaigniers », en juillet : ils nous ont réservé un accueil incroyable. On est restés trois jours et on a boeuffé tous les soirs.

Pour le quintet, vous avez un projet d’album ?

Karim : Pour l’instant, non ! Le projet du quintet est d’abord un espace de travail et de « lancement ».

Abdès : Je ne nous vois pas faire un album avec les arrangements d’Horace Silver, ça n’aurait pas vraiment de sens. Sur le long terme, avec nos arrangements, ce peut être une finalité.

Karim : Pourquoi ce projet s’appelle « Hommage à Horace Silver » ? C’est parce qu’on veut lui rendre un hommage de son vivant et pour faire connaître sa musique, car je crois qu’il n’est pas assez reconnu. C’est quand même le type qui a monté les Jazz Messengers avec Art Blakey, on l’oublie souvent ! Par la suite, Art Blakey a repris le nom et a formidablement réussi. Horace Silver a été très créatif.

L’avez-vous rencontré ?

Karim : Non, mais on aimerait bien. Ce serait un couronnement pour nous ; le plus beau serait de jouer un morceau devant lui.

Dans quels autres groupes jouez-vous, en dehors des collaborations avec Laurent Marode pour Karim ?

Karim : Je joue souvent avec Meriem Serbah. Meriem est une chanteuse et une comédienne qui a joué dans L’esquive, ce film qui a eu quatre Césars. Elle joue aussi dans le prochain film de Rabah Ameur Zaïmeche qui a fait Wesh Wesh, qu’est ce qui se passe ?. Nous jouons avec Daisy Bolter qui est chanteuse aussi, et en trio avec Laurent Marode

Abdès : Oui, Daisy est ma femme, ma chérie… [Rires]

Karim : Enfin, nous jouons aussi avec un musicien tunisien, Mohamed Ali Kamoun. Il est venu en France faire des études de musicologie et a fait une thèse sur les musiques métissées. C’est un type qui adore le jazz, la salsa et la bossa. Il nous a fait jouer un répertoire de compositions assez original : il a écrit une suite orientale mélangée avec des bossas et des sambas.

Abdès : Il est très inspiré par les musiques latines.
Pour ma part, je joue dans le Laurent Marode Sextet, avec Daisy Bolter, avec Mohamed Ali Kamoun, dans le big band d’Antony et des formations au coup par coup.

Quelques dates à venir pour le quintet ?

Karim : Le 6 septembre 2005 au Sunside pour la remise des « Trophées » (PS2) et le mardi 17 janvier 2006 au Théâtre d’Hercé dans la Mayenne. Ce sera l’occasion d’une mini-tournée dans la région. D’autres dates sont encore à venir …

Pour finir : quelque chose à ajouter ? Un message à faire passer ?

Karim : Vive la musique ! Je dis cela car je pense à mes gamins : ma fille de 7 ans et demi commence le violoncelle en septembre et on va pouvoir faire des petites notes ensemble… C’est génial ! Mon fils a trois ans…

Abdès : Et lui, il joue de la « bacri » [Rires].
J’ai une chose à ajouter : ce projet m’a donné envie de monter des projets aboutis avec des groupes. Si je peux faire un appel… [Rires]… à résidence.
J’ai envie de trouver des résidences pour mettre en place des projets, qui seraient préparés en amont, en toute quiétude, dans la durée, dans un endroit neutre où on est là pour la musique et dont le but final serait soit d’enregistrer un disque, soit de partir en tournée. C’est un travail qu’on arrive de moins en moins à assurer car on bosse toujours dans l’urgence. Actuellement, on fait une ou deux répétitions avec un groupe monté pour un cachet. C’est usant, je préfère mener un travail de fond.

Karim : Quand tu travailles sur un projet, ne serait-ce qu’une semaine, tu te retrouves tous les jours à répéter avec les musiciens - on s’écoute, on se comprend. La musique a un autre visage. C’est nettement plus intéressant.

Abdès : Vous avez soif ? [Rires]

par Jérôme Gransac // Publié le 27 septembre 2005
P.-S. :

(1) Faire la pompe : jouer la tonique à la quinte une fois tous les deux temps.

(2) La retransmission du concert du 6 septembre 2005 est prévue pour le 7 octobre 2005 de 23h à 1h sur France Musique.

Karim Gherbi Quintet :

Karim Gherbi (cb)
Abdès Gherbi (dr)
David Sauzay (sax)
Ludovic Louis (tp)
Gaël Rakotondrabé (p)