Chronique

Keravec / Troudi / Halal

Revolutionary Birds

Erwan Keravec (cornemuse), Mounir Troudi (voc), Wassim Halal (perc)

Label / Distribution : Buda Musique

Les révolutionnaires sont des oiseaux migrateurs. Il ne connaissent pas de frontières. Les révolutionnaires sont des oiseaux de passage, trop souvent pourchassés. Mais qui sont les oiseaux révolutionnaires ? Chamarrés, sans doute. Agiles, bien sûr. Moqueurs, ajouterait Jean-Baptiste Clément. Un peu tout ça à la fois et surtout vivants, furieusement et tapageusement, comme pour mieux nous surprendre de leur chant. Les trois oiseaux révolutionnaires qui se présentèrent au Quartz de Brest en décembre 2016 cochent toutes les cases : joyeusement cosmopolites comme il se doit, respectueux des dynamiques collectives et emplis d’une poésie qui vous étreint à peine la cornemuse d’Erwan Keravec vient se frotter au chant soufi de Mounir Troudi dans les cycles de « Raks », morceau-symbole de ce disque qui vous saisit par l’intensité de l’instant

Ce n’est pas le choc des cultures, pas plus que le dialogue entre les peuples. La Bretagne ne croise pas la Tunisie dans un quelconque match des virtuoses. Wassim Halal, le percussionniste de Bey.Ler.Bey qui clôt le triangle avec son bendir ou sa darbuka n’est pas non plus là pour offrir le multiculturel Liban en arbitre, quand bien même « Turc » est une construction rythmique sophistiquée où Armorique, Atlas et Kaçkar auraient fusionné sur on ne sait quelle dorsale. Il s’agit - et l’évidence sonne aussi fort que les tuyaux de la cornemuse - d’une alchimie qui parvient à convoquer les folklores hors de tout terroir. Ni fusion hors-sol, ni folklore imaginaire. Juste un shaker géant où le sonneur ferait parfois songer à un ney des Balkans capable de tenir indéfiniment la note et où de la danse à la transe, il n’y aurait qu’un souffle ténu et largement imperceptible. Une douceur qui s’accroche aux bourdons soigneusement ordonnancés par la pulsation de Halal.

Revolutionary Birds est la rencontre d’improvisateurs hors pair que rien n’arrête, pas même le cadre très codifié de leurs langages respectifs. Keravec côtoie depuis longtemps les scènes jazz et musiques improvisées, notamment avec Beñat Achiary qui aurait pu s’intégrer dans un tel projet tant il s’apparente à son univers. Mounir Troudi quant à lui a travaillé avec Erik Truffaz ; sa science du chant traditionnel soufi, sa capacité à en briser les codes sans le dénaturer est la clé de ce disque étonnant et réjouissant. L’oiseau révolutionnaire peut partir aussi loin qu’il veut : nous veillons précieusement sur son nid.