Chronique

Kimono

Musique de Chambre avec Basse Électrique

Roberto Negro (p), Christophe Monniot (as, ss), Stéphane Decolly (b), Adrien Chennebault (dms)

Label / Distribution : O Jazz

Le premier album du trio de Roberto Negro augmenté de Christophe Monniot était doté de faces diverses. Luna di Wuxi et Kimono symbolisaient deux aires de découverte entre le pianiste et le saxophoniste, bien départagés par la batterie inventive et polymorphe du fidèle Adrien Chennebault. La seconde partie a d’ailleurs donné le nom à ce qui est devenu un orchestre, même si Stéphane Decolly a supplanté à la basse électrique Jérôme Arrighi. Un remplacement qui définit précisément ce que l’on entend, puisque Musique de Chambre avec Basse Électrique s’appuie sur le nouveau venu, aperçu dans le Supersonic de Thomas de Pourquery. La basse électrique en est le centre de gravité. Du moins le point de passage obligé entre la puissance rythmique d’un jazz fort contemporain (« Sonate pour un monoski Partie 3 », où la batterie tonne comme la mitraille sur une basse lourde et contondante) et une musique de chambre nourrie par le XXe siècle (« Sonate pour une nouvelle terre Partie 2 », où le toucher caressant de Negro fait merveille).

Ce nouveau disque paru chez O’Jazz est également construit avec deux faces, comme le précédent ; elles sont plus courtes et pourraient tenir cette fois sur un vinyle. Elles se constituent de deux sonates écrites par Monniot pour la première et Negro pour la seconde. Des approches différentes et complémentaires qui célèbrent une complicité affirmée entre les compositeurs. Certes, la « Sonate pour une nouvelle terre » de Monniot est à son image, lunaire et érudite, mais elle ne s’interdit pas une certaine gouaille. C’est notamment le cas lorsque dans l’intense première partie, l’alto semble sautiller du piano à la batterie, poursuivi par des cordes espiègles. On avait pu constater, dans l’excellent Vivaldi Saison 5, la capacité de Monniot à se nourrir du patrimoine de la musique écrite occidentale pour jouer de toutes les teintes de l’émotion et de rendre fluides les thèmes les plus complexes. Avec ses compagnons de Kimono, il peut même se permettre une certaine retenue, notamment grâce au talent de percussionniste de Chennebault qui éclate dans les deux derniers tiers de sa pièce.

Le monoski du pianiste du Tricollectif est lui aussi à son image : ironique et bondissant, masquant derrière un nom iconoclaste une sensibilité exacerbée qui rapproche les auteurs. Decolly, véritable liant du premier titre, incarne ici davantage un élément de rupture. Il vient soutenir une lame de fond puissante faite de souffles métalliques et d’électronique caverneuse qui submerge un propos très atmosphérique, notamment dans la première moitié de la deuxième partie. La Sonate pour un monoski est sans doute plus cérébrale que l’œuvre du saxophoniste, écorchée vive. Construite autour de haïkus mélancoliques, elle clôt le disque dans une douce amertume (« Sonate pour un monoski Partie 4 »), à peine ombrée par une basse immuable. Une œuvre intense et magique qui souligne à quel point la communauté d’idées entre ces musiciens est évidente. Kimono, c’est l’histoire d’un orchestre qui s’est littéralement trouvé. Nul doute qu’il nous ravira encore.