Chronique

Kühne / Ullmann / Kaufmann

Marbrakeys

Almut Kühne (voc), Gebhard Ullmann (ts, bcl), Achim Kaufmann (p)

Label / Distribution : Leo Records/Orkhêstra

La jeune chanteuse allemande Almut Kühne collectionne les collaborations prestigieuses depuis le début de sa carrière. On l’a vu tout autant aux côtés de Tom Arthurs dans le trio Ticho qu’avec Anthony Coleman ou Frank Gratkowski. Habituée d’un registre très contemporain (on a pu l’entendre sur le répertoire de John Cage notamment), c’est avec le multianchiste Gebhard Ullmann - l’animateur du Basement Research avec Pascal Niggenkemper ou Gerald Cleaver - que le travail est le plus ancien. On note par exemple le duo Silver White Archive paru en 2014 qui transportait le blues dans la périphérie de Darmstadt. Rien d’étonnant à retrouver le vétéran berlinois aux côtés de sa compatriote ; tous les deux aiment tutoyer le silence pour éroder la masse avec malice tout en conservant une tension exacerbée. Avec Marbrakeys, sorti chez Leo Records, c’est de nouveau ce terrain qu’ils investissent, en laissant libre cours à l’improvisation.

C’est l’enjeu de « The Heron » où une note tenue par Kühne jusqu’à perte d’haleine vient s’incrémenter au souffle qui réchauffe les tuyaux de la clarinette basse. À leur côté, le piano préparé d’Achim Kaufmann trouble un peu plus la perception. Ses cordes assourdies tintinnabulent ou se confondent avec le sifflement des anches de Ullmann. Le rôle du pianiste, dont le duo avec le clarinettiste est également ancien comme en témoigne le récent Geode, est de redistribuer les cartes pour dépasser la relation fusionnelle de ses complices. Ainsi, si sur « Hark », sa main gauche souligne les cris et les embryons de sprechgesang [1] bousculés par le saxophone ténor. Plus loin, sur « Gebs Path », c’est lui qui guide les sons de gorge et de langue comme on développe une image en chambre noire, laissant l’alchimie marquer les contours et faire apparaître les détails qui se précisent à mesure que les phonèmes s’articulent.

Si le talent d’improvisateurs d’Ullmann et Kaufmann n’est plus à prouver, comme le démontre l’intense « Two Out of Three », la découverte d’Almut Kühne est réjouissante.Sa voix semble charrier une bonne partie de l’histoire de l’improvisation européenne. Dans l’excellent « Etablished Failures », construction subtile évoquant quelque folle mécanique, on songe souvent à Maggie Nicols. Voilà une artiste à suivre avec attention, singulièrement dans le Bottom Orchestra de Kaspar Von Grünigen où elle côtoie les Suisses Lukas Briggen et Marco Von Orelli. Marbrakeys constitue la meilleure des portes d’entrée.

par Franpi Barriaux // Publié le 4 septembre 2016

[1Technique de « parlé-chanté ».