Chronique

Kurt Elling

Passion World

Kurt Elling (voc), John McLean (g), Gary Versace (kb), Clark Sommers (b), Kendrick Scott (dms) + invités

Label / Distribution : Concord/Universal Music

Kurt Elling appartient à un tout petit monde : celui des chanteurs de jazz dans la lignée d’Armstrong ou de Sinatra qu’une seule main devrait suffire à compter. Son passage chez Blue Note, entre 1995 et 2003, a suffi à imposer une des voix les plus originales du moment, capable de reprendre la musique de John Coltrane et Johnny Hartman [1]. C’est dire si le personnage appartient à une espèce rare. Mais son monde à lui est le Monde et c’est à cette passion qu’il nous convie sur son dernier disque.

La carte postale envoyée est ici un patchwork de chansons familières, sans doute fredonnées régulièrement, et de paysages musicaux que Kurt Elling est allé chercher au Brésil, en France comme en Écosse. Ainsi qu’il le chante dans le ténébreux « After The Door » de Pat Metheny, « il y a un monde d’amour et de musique après la porte », qu’il explore avec plaisir. Le beau saxophone de Tommy Smith dans un « Loch Tay Boat Song » traditionnel aux accents gaéliques écossais, renforce l’impression d’amour déçu (une « fille rousse ») évoqué par la voix grave et puissante. Mais c’est une atmosphère plutôt feutrée qui plane sur cette douzaine de morceaux choisis avec tact, tant pour leur symbolique voyageuse que leur faculté de métamorphose. Nat King Cole affleure dans un « Si Te Contara » mélancolique et douloureux qui, malgré l’accordéon de Gary Versace, ne fera pas oublier la version chantée par Ibrahim Ferrer. « La Vie en rose », interprétée en français puis en anglais (on préférera cette langue, plus adaptée au timbre de Kurt Elling), joliment éclaboussée par le saxophone de Karolina Strassmayer, du Big Band de la WDR, trouve ici une couleur assez syncopée. Ce qui n’est pas le cas de la très sensuelle « Bonita Cuba » du trompettiste Arturo Sandoval, étrangement sage et policée.

Si Kurt Elling n’est pas un grand auteur, il surprend toujours, en revanche, par sa justesse et ses graves, où il excelle. Ce disque est de ceux qu’on peut se permettre de concocter quand on a atteint une certaine solidité et qu’on n’a, finalement, plus rien à prouver.

par Thierry Flammant // Publié le 4 octobre 2015

[1Dedicated to You : Kurt Elling Sings the Music of Coltrane and Hartman, Concord 2009