Scènes

L’ARFI : 30 ans et toutes ses dents

La joyeuse bande s’est payé durant trois jours l’Opéra de Lyon, accumulant rencontres, concerts d’un soir, petits solo ou duos inattendus pour finir sur une Marmite en pleine forme.


L’ARFI (Association à la Recherche d’un Folklore Imaginaire) a donc 30 ans. Et s’est donc offert un petit festival pour le faire savoir. Prétexte à jouer, à envahir plus que de raison l’Opéra de Lyon, et avant de sortir par sa grande porte, de rajouter un disque dans les étals. « Envoyez la suite » de La Marmite Infernale (on y revient).

L’ARFI à l’opéra ? Ce fut une succession de petits rendez-vous, courts mais denses. Comme des saynètes rapidement jouées, des tableaux de toutes sortes, mélangeant les genres, les époques, les rappels de l’histoire, voire les dogmes. .Des « éclats » avaient-ils annoncé. Ce fut le cas. D’un bout à l’autre. De ce Lighthouse, rencontre entre un danseur, Julian Hamilton, naviguant ou dérivant au milieu de l’Effet Vapeur au dernier concert de la Marmite Infernale, version cocotte minute sur le point d’imploser ou plutôt, grande lessiveuse pour oreilles encrassées. L’ARFI, quoi.

L’ARFI est bien plus que les quinze ou seize musiciens qui la composent + copains de rencontres, ou que leur addition momentanée. Trente ans après, elle demeure ce creuset pas seulement musical où l’esthétique demeure avant tout cette quête inlassable de la beauté différente et inconnue. Parfois, ça se plante, ça déraille. C’est le risque, inhérent à la démarche. Mais le plus souvent, au contraire, les idées fusent, bousculent, font table rase, et font aimer cette remise en cause perpétuelle, où un tien vaut moins que deux tu ne l’auras peut-être pas. Donc, trente ans après ,restons sur le qui-vive. Et c’est dans cet ordre de marche qu’a donc débarqué l’ARFI à l’Opéra un certain mardi matin pour mener à bien ses trois « Eclats ».

Première pépite « Lighthouse » donc ; rencontre entre un danseur, Hamilton et l’Effet Vapeur, petite formation réunissant Xavier Garcia (électronique) Jean-Paul Autin (sax), Alfred Spirli (percussions mais pas seulement) et Jean-Marc François aux lumières.

Ici, un gardien de phare se dresse, scrute les ténèbres pendant qu’autour de lui d’étranges personnages se meuvent, réagissent en lumière et en musique. Dans ce vase clos où la tension ne cesse de monter, les inquiétudes se télescopent. Parfois, d’ailleurs, l’ensemble est si expressif qu’on suspendrait bien toute musique. Pourtant, le travail mené ici par trois musiciens qui ne cessent d’allier leurs explorations, demeure déterminant de l’ambiance qui s’installe peu à peu dans ce petit cercle imaginaire.

Le même jour, s’était élancé le « Duo Botton/Gousset, » trop rapide rencontre, suivie de « Dites 33 », décryptage mélodieux où l’électronique – Bernard Gousset est au mixage- s’en donne à cœur joie pour faire renaître les instruments de Jean Méreu (trompette), Michel Botton (sax) et Jean-Luc Peilhon (harmonica, clarinette ). Concert rapide là aussi où l’attention est sans cesse retenue par les incursions des uns et des autres (cf les jolis pas de deux trompette / clarinette entre Méreu et Peilhon). En fait, seul le trio Charbonnier-Bost-Vagnon oublia le public ou, du moins, le fait qu’il avait sur lui de trop nombreuses longueurs d’avance. La volonté louable de détourner l’essence des instruments, de créer des sonorités parallèles, des bruits non autorisés, des atmosphères non répertoriées ne suffit pas forcément pour passer derrière le décor. Sans doute aussi, le spectacle s’éroda au fur et à mesure que les musiciens s’arc-boutaient toujours plus sur leurs potentiomètres.

UNE EPOQUE Où LES PAVES VOLAIENT BAS

Le second Eclat nous ramena très sûrement à des époques où les pavés volaient bas et où le bonheur se profilait au fond de l’usine à droite. Ici, avec ce « Slogan », le Workshop s’en est donné à cœur joie pour replonger, à sa façon, dans un bain d’utopie joyeuse qu’on ne reverra pas de sitôt. On passe en revue ici toutes les révolutions et leurs musiques, avec une irrévérence croissante. Sans cesse, la dérision laisse place au nouvel espoir.

Tout y passe. L’énergie est à son comble. De Jean Bolcato (cb) à Christian Rollet (dr) qui emmènent avec eux les deux saxs Jean-Paul Autin et Jean Aussanaire. Michel Bastien quant à lui redonne vie à ces slogans – parcelles de rêves d’un autre temps pendant que Thierry Cousin s’occupe du son. Ce concert bourré d’énergie, de brassages en tous genres et de clins d’œil en toutes directions trouvait sans doute dans la salle un écho particulier qui retentit jusqu’à la dernière salve de « commandements » dictés ou montrés par les uns ou par les autres. Auparavant, Alain Gibert s’employa, à partir de son seul trombone, de mêler jazz et bourrée auvergnate, pour déboucher sur un syncrétisme farceur largement commenté en auvergnat suivi de sa traduction en français. Histoire de rappeler que l’Afrique n’est jamais loin, le musicien s’employa aussi à domestiquer un « sanzé » et à jouer ainsi de cet instrument multiforme qui sentait bon la post-délocalisation. A midi, enfin, Xavier Garcia s’était embarqué avec Guy Villerd (sax, voix, traitement) pour fabriquer une musique largement inédite et inspirée.

Mais le temps pressait. Le Petit Trio à midi n’eut que peu de temps pour passer en revue quelques musiques où les trois instruments faisaient recette. C’est limpide, retenu d’un bout à l’autre comme aime le faire Jean Méreu, épaulé ici par Jean Aussanaire (sax) et Jean-François Charbonnier, ici plus en verve. Juste le temps de se retirer et les deux contrebasses de Jean Bolcato et d’Eric Brochard se redressaient. Crin Blanc/Crin Noir : un duo rare de contrebasses réunies sur les mêmes phrases et les mêmes aspirations. Avec de tels musiciens, les archets participaient à la naissance d’harmonies insoupçonnées et les contrebasses semblaient révéler leur vraie nature, entre colère et exaspération.

L’ARFI DEMEURE SUR LA BRECHE

De l’un à l’autre, tous ces mini-concerts auront levé le voile sur cette ARFI trentenaire, collectif qui garde intact cette curiosité inlassable pour les sonorités à inventer. Bref, on pouvait craindre un gâteau d’anniversaire saupoudré de nostalgie, auto-célébration et complaisance. Ce fut le contraire. L’ARFI demeure sur la brèche, prête à démarrer au quart de tour pour les incursions les plus loufoques et les associations les plus incongrues. Pourrevu que cha dourre.


L’ARFI ne s’est pas laissé rattraper par son passé

On se méfie légitimement des anniversaires. A part faire le compte implacable du temps qui passe et d’enfiler des costumes devenus trop justes, elles fixent surtout l’inutilité des dates et nourrissent d’abord de multiples déconvenues. Légitimement fière de son passé, l’ARFI n’a quant à elle pas hésité à fêter ses trente ans en s’installant « musici militari » dans l’amphi-jazz de Lyon qui, pour résumer, a des chaises cent fois plus confortables que les fauteuils de torture qui traînent encore au-dessus.
Qu’ajouter ? De fait, l’ARFI ne s’est pas laissé rattraper par son passé. C’est maintenant que ça se passe pourrait être la devise perpétuelle du collectif. Comme ces oiseaux chargés de rappeler en permanence le promeneur au « présent » dans le visionnaire Island d’Huxley. Et même s’il y eut des essais peu ou pas transformés, c’est bien d’une musique en devenir qu’il fut question tout au long de la semaine. Les musiciens qui forment ce collectif partagent beaucoup de choses en commun mais pas besoin de fouiller beaucoup pour entendre différences ou ruptures. D’où la nécessité d’arpenter avec patience ce petit univers, du plus minuscule duo jusqu’à la Marmite Infernale qui serait un peu le défilé du 14 juillet après le passage des commandos.

Comme souvent, il y a les alliages qui plaisent d’emblée à un public assidu et ceux qui demandent à être polis quelques temps avant de distiller leurs véritables saveurs. Retenons en tout cas qu’en présentant vendredi soir l’Envoyez la Suite de la Marmite Infernale, l’ARFI aura commis le 52è album de sa petite existence. Qui prend place à côté de tous les autres qui témoignent des musiciens et des formations qui ont prospéré à l’ombre du collectif.

Aujourd’hui, l’ARFI demeure cette structure forte de quinze à dix-sept musiciens, cooptés le plus souvent, où se mêlent les « historiques », les petits nouveaux et ceux qui frappent à la porte. Eux-mêmes revendiquent quelques influences majeures : d’Ornette Coleman à l’Art Ensemble, de Coltrane à tous ceux qui ont à un moment ou à un autre, quitté les GR balisés pour prendre la tangente. Mais ce serait évidemment beaucoup trop simple : en fait, on peut parier que pas une seule influence n’est absente du paysage de l’association. Accents de Jean Méreu évoquant Varèse. Ou le petit récital revenu d’Auvergne d’antan en plein cœur des Eclats.

« On joue la musique préférée de nos grands – parents » rigolait l’un des membres au détour d’une question. Heureusement, pas seulement. Ou alors c’est que les grands-parents ont bien changé. Au contraire, au-delà de quelques complaisances et d’arrêts sur images, l’ARFI n’en démord pas. Sa quête d’exigence reste étonnante, à la hauteur de celles qui hantaient le Workshop dès 1973 (la formation avait été créée dès 1967). Et ce n’est pas un deuxième souffle.

NB : En 2007, l’ARFI a donné 115 concerts, 43 à Lyon, 42 ailleurs dans l’Hexagone et 30 à l’étranger. L’Association sort en moyenne 2 à 3 albums par an, édite des partitions et un DVD. Ses disques sont distribués par Abeille Musique, figurent chez les bons disquaires mais peuvent aussi être commandés sur son site).


SORTIE DE CD

La Marmite Infernale
Envoyez la Suite

La Marmite Infernale a-t-elle toujours quelque chose à dire, une musique à inventer ? Réponse, au terme de cet Envoyez la suite : aucun doute à avoir. Le big band de l’ARFI commet ici un disque plein de rebondissements, construit évidemment à partir des écarts des uns et des autres mais soumis en même temps à une « patte » collective qui fonctionne à plein. Le titre est bien trouvé : on a en effet affaire à une suite, débridée dans un cadre strict, qui se déroule comme une joyeuse tornade inventive où volent des dizaines de suggestions, de clins d’œil dans lesquels on pique au gré du moment. Balades quasi glamour, bruits secrets, éclats colossalement collectifs, petites échappées printanières et autres prétentions de fanfares se ressoudant en vitesse… la Marmite réussit son coup de ne jamais se laisser dépasser par notre accoutumance mais au contraire de toujours nous précéder.

Bref, un disque dense, sans banalité, un brin disert mais c’est justement cet art de jouer pour dire qui séduit sans relâche. « Camisole » qui introduit le CD a tout pour devenir un thème récurrent d’émission jazzy. Un déchaînement qu’on retrouve très régulièrement au fil des « temps » de cet album (ainsi « Jolie montagne »). Les contrastes abondent dans les interstices. Les compères s’amusent alors follement, s’échangent, se retrouvent. A chacun son tour de laisser sa place, de jouer au leader avant d’être vite fait débarqué. Les bouts de chemin, ici, savoureux, ne durent jamais. Ça prend parfois l’allure d’une grande répèt’ avant concert final. D’où peut-être cette énergie communicative qui traverse l’enregistrement de part en part. Un bel album.

par Jean-Claude Pennec // Publié le 7 décembre 2007
P.-S. :

Edité par l’ARFI. Durée : 63’20.