Scènes

L’ECM à Dinan

Nouveaux locaux, nouveaux stagiaires pour l’Ecole de Création musicale d’Eric Le Lann


Lorsque nous avions rencontré Eric Le Lann dans son Ecole de Création musicale, à Lohéac, il avait évoqué ses difficultés matérielles. En juin 2003, il a fermé boutique. Pour la rentrée 2003, l’aventure reprend à Dinan, Côtes d’Armor, toujours en Bretagne.

Lundi 10 novembre 2003.

Pourquoi ce déménagement ?

Eric Le Lann :

Je cherchais un partenariat. Un ancien élève installé à Dinan a rencontré Carole Lardou, du service culturel de la Communauté de communes de Dinan, et lui a parlé de l’Ecole et de ses problèmes logistiques. Je l’ai rencontrée à mon tour, puis je suis allé trouver René Benoît, maire et président de la Communauté de communes. L’Ecole Nationale Supérieure de Santé de l’Armée de Terre quittait Dinan en laissant de grands locaux vides à disposition. Ils sont à nous, travaux et fluides compris. J’avais demandé à ce que les stagiaires soient hébergés. Ce sera possible l’an prochain, dans d’anciennes chambres d’officiers. Certains élèves viennent de loin et rentrent le soir chez eux, ce qui les empêche de suivre plusieurs jours de cours.

L’équipe pédagogique est-elle la même ?

Eric Le Lann :

Oui. Un stage a commencé en octobre. Un stage AFDAS commencera en décembre. Actuellement, les cours de piano, basse, batterie sont assurés par Cesarius Alvim et les cours de guitare par Loïc Richard, qui vient de Paris. Je recherche des professeurs sur place. Je veux faire participer les gens de la région. Et puis, faire venir des musiciens de Paris, ça coûte cher. Sylvain Beuf a proposé de donner des cours de saxophone. Ce qui m’étonne, c’est que les comédiens ne profitent pas du stage AFDAS pour prendre des cours de chant avec Claudia Solal. Or ce stage est gratuit pour eux. Mais les comédiens ne travaillent pas, c’est le problème. Un saxophoniste est revenu de Paris, du Grand Magic Circus de Jérôme Savary, pour s’installer à Saint-Brieuc. Une vingtaine d’élèves sont présents actuellement, tous avec Cesarius Alvim.

Quels sont vos projets ?

Eric Le Lann :

Le problème majeur est que le Conseil régional de Bretagne ne veut plus financer les stages des élèves. Il ne subventionne plus les moins de 26 ans, les demandeurs d’emploi. Il demande une école homologuée. Par qui ? Pour quoi ? Je n’ai jamais eu de réponse claire à ce sujet. Le maire de Dinan, conseiller régional, va chercher à en savoir plus. Les ASSEDIC, les organismes de formation continue répondent que les caisses sont vides. Du moins, ici, j’ai des locaux prêtés, avec les travaux, le chauffage et l’eau offerts. Vingt studios de répétition vont être aménagés. Même s’ils ne sont pas en cours, les élèves peuvent travailler. Je veux créer une animation dans la ville. Des créations seront faites avec l’Ecole de Musique. Le Conseil général des Côtes d’Armor devrait nous soutenir. Le maire de Dinan est enthousiaste. Avec le soutien de la mairie, de la Communauté de communes, du Conseil général, nous avons une équipe de communication efficace. La preuve, pour le concert de rentrée du 29 octobre, le Théâtre des Jacobins était plein. Je veux créer un festival en Bord de Rance, l’été, avec des musiciens français en général et bretons en particulier. En s’adressant directement aux musiciens, sans passer par les agents, on devrait pouvoir créer un festival sans se ruiner.

Nous assistons ensuite au cours de Cesarius Alvim. Il apprend aux élèves à écrire une ligne de basse et à pratiquer la décontraction.

Frédéric, 29 ans, bassiste de funk, reggae, brésilien autodidacte, explique qu’il ne connaît pas le solfège mais que Cesarius Alvim est un bon pédagogue qui sait s’adapter au niveau de ses élèves. Des amis lui ont parlé de cette école. Il est venu y affûter son sens rythmique. Il y a trouvé son bonheur et plus de confiance en lui.

Aurélien, 19 ans, pianiste, n’a que quelques connaissances en solfège apprises à l’école de musique de sa commune. Il sent qu’il progresse, mais ne joue pas encore sur scène et compte rester encore un an à l’ECM. Il fait l’aller et retour tous les jours depuis Caen avec un ami batteur. Son exemple illustre bien les propos de Le Lann sur la nécessité de loger les élèves sur place.

Ronan, 27 ans, batteur, cinq ans d’école de musique derrière lui, joue dans un groupe nantais de jazz funk, « Milogos ». Il est venu s’épanouir, mettre à plat ses compétences. Lui aussi a trouvé son bonheur. Comme nous, il juge l’installation meilleure qu’à Lohéac et pense que l’Ecole semble vraiment démarrer cette année. En revanche, après la réforme du statut des Intermittents du spectacle, il se demande si cela vaut la peine de devenir musicien professionnel.

Un professeur qui s’engage !
Cesarius Alvim marque le tempo pour l’un des élèves de son cours de contrebasse à l’Ecole de Création Musicale d’Eric Le Lann à Dinan.

Cesarius Alvim est le professeur polyvalent de l’Ecole de Création musicale : piano, (contre)basse, batterie, rythme, harmonie, composition… Son parcours musical illustre bien la diversité de ses talents. Cesarius est Brésilien. A quatre ans, il joue des percussions dans les écoles de samba de Rio. Sa mère, chanteuse et pianiste qui aimait la musique française (Ravel, Debussy), a chanté avec Villa Lobos. Cesarius joue des percussions, puis du piano, avant de passer au jazz. Premiers concerts à l’âge de douze ans ! Venu en France pour jouer du jazz, mais trop âgé pour le concours de piano, il travaille la contrebasse comme un fou et est entre au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris dans la classe de contrebasse classique. Il y étudie la composition avec Olivier Messiaen, et avec son maître, Tony Aubin. Il suit aussi les master classes de Pierre Boulez et joue de la musique contemporaine avec Marius Constant, comme soliste de l’ensemble Ars Nova. Au Brésil, il accompagne en tournée la chanteuse Elis Regina à la guitare basse. Il travaille aussi à l’Opéra de Paris et compose pour l’Orchestre philarmonique de Radio France. Passant alternativement du piano à la contrebasse ou à la batterie, il se sent maintenant à l’aise partout. Ici, il transmet son savoir : harmonie, mélodie, composition, rythme. Le rythme qui l’a marqué dès l’enfance dans les écoles de samba, c’est celui des « belles fesses des Brésiliennes qui dansent en tempo grave » selon ses propres termes. A l’ECM, il donne des cours de piano, de contrebasse, de basse électrique, de batterie. Il n’a pas une vision technique de l’instrument. « Ici, on enseigne la musique » dit il. C’est pourquoi les batteurs viennent de plus en plus nombreux à Dinan. Ils ne veulent pas simplement engranger un nouveau plan de batterie, mais apprendre à sentir, à faire vivre la musique depuis une batterie. Jack de Johnette est un excellent pianiste, Tony Williams était un bon compositeur. Voici les exemples que Cesarius Alvim donne à ses élèves.

par Guillaume Lagrée // Publié le 22 décembre 2003
P.-S. :

L’ECM made in Breizh semble enfin bien partie depuis qu’Eric Le Lann a trouvé un appui politique solide à Dinan et dans les Côtes d’Armor. Reste à convaincre la Région Bretagne de l’aider à développer l’Ecole. Une vingtaine d’élèves, alors que la Région ne finance plus les stages, c’est déjà beaucoup. Imaginons ce que cela pourrait être si la Région comprenait que l’insertion professionnelle des jeunes peut aussi passer par la musique ! Dans une Région si fière de sa culture, laquelle se vend très bien par ailleurs, il reste des raisons d’espérer. Ne dit-on pas que la foi déplace les montagnes ? Or Eric Le Lann, Cesarius Alvim et René Benoît, maire de Dinan, ont foi en ce projet. Alors, rendez vous au prochain festival de Jazz de Dinan…