Chronique

L’effet de Foehn

Variations sur les variations Goldberg

Guillaume Grenard (tp, b, objets, fx, arr), Gérald Chagnard (as, ss, fx), Thibaut Martin (vib, objets), Sylvain Nallet (cl, bcl, objets), Hélène Péronnet (voc, vln), Eric Vagnon (as, bs, objets), Nicolas Pellier (dms, objets)

Label / Distribution : L Arbre-Canapas

Bousculer le Cantor est une tâche assez commune lorsqu’on est musicien de jazz et de musique improvisée. Le faire vibrer est chose moins aisée. De Loussier à Ferlet en passant par Uri Caine, ils sont nombreux à s’être attachés à l’œuvre de Bach. La lecture évolue au sein d’un spectre qui va du sage hommage à la déconstruction en règle, à la manière des enfants qui démontent les objets du quotidien pour voir s’ils peuvent être remontés, à l’envers au besoin… Peu importe la méthode pourvu que ça fonctionne. Voilà ce que devait être la philosophie du septet l’Effet de Foehn lorsqu’il s’est emparé des Variations Goldberg. Grâce aux arrangements acrobatiques du trompettiste Guillaume Grenard, petit chimiste à qui l’on doit déjà la mise en musique de La Table de Mendeleiev, « BWV 988 », de son petit nom, devient Variations sur les Variations Goldberg. Sacrilège ? Nul doute qu’il y aura quelques réticences du côté des entomologistes de stricte obédience sur les « Variations V à VIII » naguère mises en lumière par le génie de Glenn Gould (le septet a pris le parti d’utiliser le tempo choisi par le pianiste à partir de 1982). Car le saxophone baryton d’Eric Vagnon découpe la partition en tranches sous les hululements lyriques d’Hélène Peronnet avant de laisser la place à un traitement électronique lo-fi qui joue une Aria sous acide.

On pourrait croire à une pochade, conclusion simpliste qui a entraîné par le passé de nombreuses incompréhensions à l’encontre d’autres musiciens à la démarche proche. Ce fut notamment le cas pour les pérégrinations de Laurent Dehors dans l’opéra, a fortiori quand Sylvain Nallet (aperçu dans l’Eléfanfare de l’Arbre-Canapas) fait parler la puissance de ses clarinettes (« Variations XVI à XVIII »). Cette proximité s’affirme aussi dans les « Variations de XIX à XXIII ». La voix de Péronnet se mélange avec le saxophone soprano de Guillaume Chagnard avant de laisser la place à une impressionnante machinerie rythmique. La batterie conquérante de Nicolas Pellier inspecte chaque possibilité rythmique de l’œuvre originelle, puis la place en équilibre bancal pour en tirer le maximum de possibilités, au milieu des instruments jouets et des cadres de sérigraphie, cristallins sous la frappe.

On songe également, dans chaque arrangement de Grenard, à Mike Westbrook, qui a cherché avec son Rossini à traduire la modernité du patrimoine par des reflets de musiques actuelles et populaires. C’est ainsi qu’au gré des variations on entend de la musique électronique, quelques bouquets zappaiens sous les maillets du vibraphone de Thibaut Martin et même des effluves d’afro-beat dans les « Variations XXVI à XXX/Aria » finales. Le principe ici est un processus très intellectualisé qui utilise la connaissance et le respect de la partition pour partir à l’aventure au milieu des annotations colorées, de la lutherie sauvage (une clarinette en PVC, un arbre à bouteille) et d’un fourmillement d’idées plus énergiques que farfelues.

Le Foehn est un vent chaud et sec qui grimpe à flanc de montagne et peut faire fondre neige et glace en un souffle. L’effet de Foehn renverse les montagnes du côté de Leipzig et c’est l’auditeur qui s’en trouve réchauffé.