Chronique

[LIVRE] Chet Baker

Comme si j’avais des ailes

Chet Baker (plume)

La lecture récente de Sur les traces de Chet Baker de Bill Moody pousse à reprendre Comme si j’avais des ailes, un petit opuscule autobiographique écrit par Chet Baker et publié en 1997.

Un mot d’abord sur ce livre de 96 p. La préface est signée Carol Baker, la dernière épouse du trompettiste. C’est à Isabelle Leymarie que l’on doit l’excellente traduction française, style direct et rythme vif. La discographie et les orientations proposées à partir d’un découpage de la carrière de Baker en trois principales périodes sont brèves, mais précises et bien vues. Cette partie a été réalisée par Jean-Claude Zylberstein, directeur de la collection « Musiques & cie ». Enfin, c’est Bob Willoughby qui signe la jolie photo de Baker en éphèbe ténébreux, qui illustre la couverture.

La première période commence à l’ouest. Le trompettiste est né le 23 décembre 1929 dans l’Oklahoma. Son enfance est pauvre, mais heureuse. Il commence par le trombone car son père, qui joue dans les bals, adore Jack Teagarden, mais, trop petit, il bifurque vers la trompette ; ça tombe bien car son père aime aussi Bix Beiderbecke. Il apprend la musique d’oreille et ne sera jamais un bon lecteur. Jimmy Rowles est l’un de ses premiers mentors : « J’ai appris énormément de lui ; comment, notamment, rester simple, comment ne pas en faire trop à la trompette » (p. 26). Sa famille ayant émigrée en Californie, il écume les bœufs dont celui d’Howard Rumsey au « Lighthouse » : « Le seul moment où ça swinguait, c’était quand un autre bassiste le remplaçait » (p. 27).

La deuxième période, dans les années cinquante, est marquée par l’armée, Berlin, ses premiers amours, son aversion pour la police et… l’herbe. Les débuts sérieux se font avec Stan Getz. En 1952 a lieu la fameuse audition avec Charlie Parker sur « The Song Is You » et « Cheryl », puis les deux semaines au « Tiffany ». « Je suis sûr qu’il aimait beaucoup la Californie, car il adorait les grands espaces, la plage et les jolies filles » (p. 40) - voilà qui résume parfaitement cette période. Suit l’épisode du renvoi du « Say When » à cause d’une générosité incongrue de Bird et l’incendie de son matelas, qui mit un terme au séjour de Parker en Californie.

La troisième période commence par la fascination pour The Birth of The Cool. Fascination qui débouche sur une collaboration fructueuse avec Gerry Mulligan. Malheureusement, la musique et l’héroïne ne font pas bon ménage et la prison finit par mettre un temps d’arrêt temporaire à la carrière de Mulligan. C’est l’âge d’or de Baker qui, au volant de sa Jaguar verte, tourne avec Russ Freeman ; effrayé par la conduite du trompettiste, ce dernier préfère prendre le train… A New York, Baker rencontre Liliane, qu’il rejoint en France pour la troisième période.

A Paris, il joue et enregistre (pour Nicole Barclay) avec Peter Littman, Jimmy Bond et Dick Twardzick. Ce dernier meurt d’une overdose qui traumatisera le trompettiste. Baker se produit alors avec des musiciens du cru : Pierre Michelot, Daniel Humair et René Urtreger, Georges Arvanitas, Barney Wilen, Bobby Jaspar, Jacques Pelzer, Benoît Quersin… Puis il rentrer aux Etats-Unis, où il épouse Halema et devient héroïnomane. C’est la quatrième période.

Celle-là consiste en un sombre jeu de cache-cache avec la police. Pêcheur d’abalones, il manque de se noyer. Il fait des séjours à Lexington et trouve le temps de travailler avec Bob Zieff ; mais, bientôt arrêté, il est envoyé à Rickers Islands. Finalement libéré, il décide de partir pour l’Italie avec Halema et leur fils. Ainsi commence la cinquième période.

En Italie, Carol entre dans sa vie. Les médicaments alternent avec l’héroïne et la prison redevient une habitude… Libéré, il joue avec René Thomas et Jaspar ; puis, alors que tout va mieux et qu’il est sur le point d’ouvrir un club, il se fait prendre en Allemagne et se voit interdire l’entrée en Italie. Il s’exile alors à Paris où il joue avec Bud Powell et Kenny Clarke. Un engagement à Londres et la rencontre de Lady Frankau le replongent dans l’héroïne. Carol et lui s’installe en Angleterre, où il ne fera rien de bon et passera son temps à se shooter jusqu’à son renvoi en France…

La sixième période démarre au « Chat qui pêche ». Il retrouve Getz, Allen Eager, Dexter Gordon… 1963 est une bonne année pour lui, qui met un frein à sa consommation de drogue et troque sa trompette - volée - contre un bugle Selmer. Cette accalmie est de courte durée car il part pour Barcelone et replonge dans la drogue…

Ainsi se termine cette autobiographie.

La deuxième partie de sa vie - qui s’achève dramatiquement du haut d’une fenêtre à Amsterdam en 1988 - est du même acabit. Finalement, sa vie aura oscillé entre drogue et musique, « un chaos perpétuel irradié par un pur génie » [1]

Comme si j’avais des ailes est à lire ne serait ce que pour le témoignage en direct et sans fard que donne Chet Baker de l’errance d’un musicien qui n’arrive pas à réconcilier son amour pour la musique et les réalités de la vie.

par Bob Hatteau // Publié le 20 novembre 2006
P.-S. :

10/18 - « Musiques & cie » - 2001 - 96 pages - Prix indicatif : 6 €.

[1Carol Baker - Préface de Comme si j’avais des ailes - p. 10.