Chronique

[LIVRE] Marc Villard

Cœur sombre

« Le pianiste était noir et ressemblait à Bud Powell ». La première phrase de Cœur sombre est symbolique : du jazz, du réalisme et une écriture directe. Bienvenue dans le « neopolar » (raccourci un tantinet abusif, mais bon…).

Si vous avez des doutes, sachez que Cœur sombre est publié chez Rivages/Noir, la fameuse collection dirigée par le non moins fameux François Guérif, et que Marc Villard a dédié son livre à Michel Lebrun, autre sommité du polar… Voilà plus qu’il n’en faut pour convaincre !

On laissera à Villard le soin de se présenter tout seul sur son site, aussi complet qu’intéressant. Signalons simplement que cet écrivain - poète, rockeur et batteur à ses premières heures perdues - est incontournable pour qui s’intéresse à « la grande littérature morale de notre époque » [1]. Rouge est ma couleur, Dans les rayons de la mort, Rebelles de la nuit… feront passer de bons moments à toutes et à tous.

Revenons à Cœur sombre, premier polar de Villard.

En 120 pages, l’auteur ne perd pas de temps et mène son histoire sur un rythme en doubles-croches. On retrouve les principales caractéristiques du roman noir : absence de héros positif ; personnages enlisés dans leur milieu social ; situations sans issue, même quand on croit en voir le bout ; violence froide et implacable ; style précis et concis qui évite les métaphores, ellipses, adverbes et adjectifs superflus ; descriptions dont le réalisme est renforcé par l’emploi de marques (Marlboro, Canon, Mitsubishi…), de vocabulaire technique (par exemple pour décrire un match de basket), de décors et de figurants empruntés à la vie quotidienne (Barbès, les journalistes Robert Médoni de Jazz Magazine et Arnaud Bertrand du Monde…).

Diana et Alex, deux femmes, deux musiciennes, deux histoires qui commencent mal et finissent bien… mais trop tôt : vivre heureux, c’est dangereux ! Le roman est un engrenage dramatique bercé par le jazz, où il est question de bébé, de racket, de drogue et de meurtres, sur fonds de frustration et de vengeance. Côté sombre, vous imaginez ce que ça peut donner… Voyons maintenant côté cœur : le jazz.

Diana Finger est noire, américaine, joue du piano et chante… Comme Billie Holiday - qui est souvent citée - elle a un penchant pour les ballades : « Yesterday », « Summertime », « Autumn Leaves » ou « Gloomy Sunday » (que l’on retrouve en exergue du livre).
Richard Deville est le propriétaire du Cherokee, un club de jazz de la rue Montorgueil. Il programme le duo Michel Petrucciani/Eddy Louiss, prend des photos de Sonny Rollins et Max Roach, écoute « Straight Life » au mauvais moment, « Saint-James Infirmary » pour un enterrement, et chantonne « Autumn Leaves » comme oraison funèbre…
Alex est blanche, droguée et joue de la guitare. Elle commence par « A Love Supreme » et « The Slidewinder », mais finira par enregistrer avec Dave Robinson des inédits d’Art Pepper, et vivra une courte illusion.
Dave Robinson, saxophoniste perdu sur les Ramblas de Barcelone, a tourné avec Art Pepper et conservé des partitions inédites. Son « Cherokee » part vers Albert Ayler plutôt que Lester Young
Arsène Madar, producteur dans l’âme, fuit les embrouilles et ne rêve que de son Dave Robinson Plays Art Pepper. Son opiniâtreté lui servira…

Le lecteur croise trop de musiciens et de thèmes pour qu’ils soient tous cités, mais on reste dans les standards et les jazzmen connus. Villard n’oublie pas non plus le clin d’œil à la bande dessinée et cite Loustal, Joos, Muñoz et Sanpayo. Côté instrument, il y a l’inévitable Gibson Les Paul, « le Yamaha de Petrucianni » (l’orthographe est correcte page 19), des « Zildjian, les cymbales aux feulements sensuels »…
L’auteur s’amuse aussi avec certains poncifs. Ainsi, page 34, on soupire devant le « je ne sais pas lire la musique » de Dave Robinson. Puis, page 79, on sourit, pris à contre-pied, quand le même Dave Robinson déclare : « Je t’ai menti, Arsène, je sais lire la musique. Tous les musiciens de jazz lisent la musique, tu devrais savoir ça. »…
Enfin, des anecdotes tirées de la vie d’Art Pepper reviennent çà et là, à l’arrière-plan des discussions entre protagonistes. L’auteur rend d’ailleurs hommage au Straight Life de Laurie et Art Pepper.

Cœur sombre est un roman noir réussi : une intrigue serrée, une écriture efficace et du rythme. Comme, de surcroît, Marc Villard raconte une histoire sur le milieu du jazz parisien, il n’y a pas à hésiter…

par Bob Hatteau // Publié le 16 janvier 2006
P.-S. :

PS : Rivages/Noir. 2000. 120 pages. Prix indicatif : 7 €

[1Chroniques - Jean-Patrick Manchette.