Chronique

[LIVRE] Marcel Pagnol

Jazz

En 1926, André Schaeffner, l’un des premiers ethno-musicologues à se passionner pour le jazz écrit qu’« il est joie animale des mouvements souples. » La même année, Marcel Pagnol, chantre de l’ethno-littérature régionale, demande à son lecteur : « Sens-tu les vieux désirs qui s’éveillent en toi ? […] la joie animale du jazz ». Ecrivain ou scientifique, deux approches, mais une conviction : une musique est née qui va faire bouger le monde…

Si Marcel Pagnol n’a pas encore composé les trilogies qui feront sa gloire, le 6 décembre 1926, sa première pièce écrite en solo, Phaéton, est jouée au Théâtre du Casino de Monte-Carlo. L’intrigue de Phaéton est très classique : Blaise, un universitaire qui a découvert le Phaéton de Platon, est obnubilé par ses recherches et passe à côté de sa vie. Le jour où l’un de ses collègues démontre que le Phaéton n’est pas de Platon, tout s’écroule et Blaise prend conscience du vide de son existence. Il aimerait rattraper sa vie perdue, mais il est trop tard… Le ton, réaliste, préfigure déjà l’esthétisme de Marcel Pagnol tant en littérature qu’au cinéma.

Et le jazz dans tout ça ?

Marcel Pagnol en fait le symbole de la chair, de la tentation, des désirs… Le trublion qui s’insinue dans le monde de l’esprit, des livres, du grec ancien. C’est la langue de la vie qui gangrène la langue morte : « Tu entends ce petit bout de phrase, avec ce rythme obsédant, pénétrant ? […] Elle se glisse entre les vers de Démosthène… ». A cette occasion Blaise parle de « Chili-Bom-Bom » qu’écoute un voisin qui vient d’acheter un phonographe. En fait, Marcel Pagnol évoque probablement « I Love My Chili Bom Bom », un « tube » des années 20 que l’on doit au Savoy Havanna Band, orchestre de danse dirigé par le violoniste anglais Reg Batten. Un peu plus loin, après une valse de Chopin, on entend « Wait Till You See My Gal », deuxième morceau de jazz cité dans la pièce et qui pourrait être le « Wait ‘Till You See My Baby Do the Charleston » de Williams, Todd et Simmons sorti en 1925. Dans les deux cas, on est bien sûr assez loin du jazz - et même de l’ODJB -, mais, à l’époque, c’est un nouveau genre de musique de danse très rythmée que les auditeurs assimilent au jazz. « C’est une danse américaine », comme le dit Barricant, l’ami de Blaise.

On tombe également sur quelques clichés comme le « jazz nègre en dolmans rouges », mais dans l’ensemble « le jazz fait rage » et enflamme l’âme du vieux professeur… et probablement aussi celle de Marcel Pagnol qui rebaptise la pièce Jazz en 1951… En effet, en 1926 « les fantasmes universitaires ne sont pas encore totalement dissipés » comme l’écrit Yvan Audouard, journaliste et ami de Marcel Pagnol, mais en 1951 « Thing’s Ain’t What They Used to Be » et Marcel Pagnol a résolument troqué son Bailly contre « Jump for Joy »…

Jazz est la sirène qui attire Blaise vers sa vie, comme Phaéton attira Marcel Pagnol vers sa voie, car, et c’est encore Yvan Audouard qui le souligne, si cette pièce « ne semble pas tenir dans l’histoire du théâtre une place de premier plan, [elle] fut à lui-même [Marcel Pagnol] fort utile. Il a renoncé à la tragédie pour la comédie dramatique. Il a admis qu’il pouvait écrire une pièce en prose. »

Voilà donc une curiosité anecdotique certes, mais plaisante à lire.

par Bob Hatteau // Publié le 31 mai 2004
P.-S. :

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