Chronique

[LIVRE] Ronald L. Morris

Le Jazz et les gangsters

Dans les années 20, la société américaine est puritaine et hypocrite, les loisirs sont rares et tournent essentiellement autour de l’alcool, dont le trafic est contrôlé par les Irlandais. Tandis que les musiciens noirs, opprimés, peaufinent leur musique, des immigrés juifs et italiens, méprisés, cherchent leur voie dans un monde des affaires dominé par les Anglo-Saxons. Les uns créent le jazz, les autres des associations illégales. Avec l’expansion des villes, le marché du divertissement nocturne explose. Marché qui passe vite dans les mains des Juifs et des Italiens. Dès lors, la pègre, qui contrôle les établissements nocturnes, devient le mécène des musiciens de jazz. Et c’est ainsi que « sans les alliés juifs et siciliens du musicien noir, si méprisables paraissent-ils, le jazz n’aurait jamais acquis la résistance cruciale qui lui permit d’évoluer ». Voici, en résumé, la thèse de l’auteur.

Le Jazz et les gangsters ne prétend pas être une démonstration cartésienne, ni avoir la rigueur d’une étude sociologique. C’est plutôt une compilation de lectures - la bibliographie comporte plus de deux cent cinquante références ! -, et de quelques témoignages recueillis par l’auteur. L’essai repose essentiellement sur des citations. Les répétitions sont nombreuses et frisent parfois la méthode Coué. Ronald L. Morris tire des conclusions plutôt péremptoires sur l’histoire du jazz et son évolution, à partir de l’analyse d’une période qui va de 1920 à 1940, et encore ! L’auteur souligne que le déclin des relations entre les mobsters et les musiciens s’amorce dès 1930, et reconnaît fort justement que de 1880 à 1920, jazz et gangsters n’en étaient qu’aux prémices. Donc, finalement, la période étudiée couvre à peine dix pour cent de l’histoire de cette musique. A moins, et le dernier chapitre du livre penche dans ce sens, qu’on ne limite le jazz à cette période, mais c’est une vieille polémique qu’on ne va pas relancer… Sinon, dans l’ensemble, on regrettera que Le Jazz et les gangsters parle beaucoup plus des gangsters que du jazz, et des conditions de vie que de la musique.

La traduction de Jacques B. Hess - historien du jazz, musicologue et journaliste - est parfois maladroite, mais toujours vivante. Ce qui rend la lecture rapide, d’autant plus que la taille des caractères et la mise en page des paragraphes permet aux yeux de courir sur le texte !

Que les gangsters aient contribué au développement du jazz semble indéniable, mais affirmer que sans la pègre, le jazz ne serait plus ou pas, c’est aller un peu vite en besogne. Une bonne idée, de la matière pour un article de fond, mais de là à en faire un livre ?

par Bob Hatteau // Publié le 11 avril 2005
P.-S. :

Le Passage - 2002 pour l’édition française - 274 pages - Prix indicatif : 20 €