Chronique

La Pieuvre & Circum Grand Orchestra

Feldspath

Label / Distribution : Circum Disc

Olivier Benoît évolue depuis plus de quinze ans au sein de deux entités, Circum et Le Crime qui se sont réunies récemment au sein du collectif lillois Muzzix. Il y mène un travail singulier et fascinant, tant à la direction d’orchestre que dans une approche très organique de son instrument. Cela s’est concrétisé par un magnifique album solo Serendipity, mais aussi auprès d’improvisateurs célébrés pour leur liberté absolue tels que Joëlle Léandre, Régis Huby ou Simon Goubert. Récemment nommé à la tête de l’Orchestre National de Jazz, qu’il a fréquenté sous l’égide de Paolo Damiani en 2001, il va pouvoir développer les idées qu’il défend opiniâtrement au cœur du Circum Grand Orchestra (CGO) et à la tête de La Pieuvre, les deux grands ensembles du Collectif Muzzix. Un propos qu’il démultiplie avec ce disque sorti sur le label Circum : il répercute, grâce à 32 intervenants issus des deux orchestres, la puissance d’une musique singulière et syncrétique jouée live, et débordante d’idées.

On retrouve dans Feldspath, qui tire son nom d’une riche famille de cristaux, tout un parti-pris de la conception orchestrale. Une idée précise, martelée par un orchestre gigantesque qu’on assimile plus au poinçon ou au burin de sculpteur de dentelle de pierre qu’à l’habituelle palette du peintre. Conçu comme un chemin circulaire entre improvisation et écriture qui offre à la fois profondeur et latitude, Feldspath est un monumental agitateur de rythmes. Ainsi, dans le neuvième mouvement de la troisième partie, « Bytownite », un des plus remarquables de l’album, les deux formations agglomèrent de nombreuses esthétiques, du rock au jazz, du métal à la musique contemporaine. Cela ouvre de nouvelles voies aux reliefs farouches où se croisent musiques populaires et savantes en un chaos très ordonné. Dans le sillage du batteur du CGO Jean-Luc Landsweerdt, qui entraîne une déferlante d’ostinatos, l’ensemble devient un seul et unique instrument démiurge, oppressant et tellurique, où la notion de collectif prend tout son sens.

Dans cette longue suite en deux albums aux tournures minérales, la masse sonore a l’âpreté de la roche et la douceur de l’érosion. Qu’on se plonge dans « Sanidine », première partie de Feldspath, et on découvre des motifs répétitifs ravinant un ensemble dense jusqu’à lui donner l’aspect friable et schisteux des volcans qui ne dorment que d’un œil. La masse assénée dans le septième mouvement, ainsi que la fragilité apparente du duo de Yanik Miossec et Peter Orins au neuvième, sont extraites d’un même noyau calcifiant qui se répand et se répercute partout en sonorités purement rythmiques, multipliées à l’infini par l’amalgame des deux orchestres.

On pense souvent aux idées brutes qu’Olivier Benoît avait jetées dans Serendipity. Du rai de lumière à l’éclair, Feldspath fonde sa tectonique sur des principes similaires. Il s’inscrit dans la continuité des propositions de Muzzix, mais promène ses atours monumentaux sur de subtiles lignes de crêtes : le CGO évolue dans une musique très écrite, millimétrée, où chaque sinuosité est un dynamisme d’ensemble ; la Pieuvre est un sédiment d’instantané à la liberté absolue qui sait trouver dans la moindre bribe un vocable commun. L’ensemble est un écosystème en perpétuelle évolution, un séisme qui n’a pas fini de régénérer le jazz français grâce à ses précieux sels minéraux.

par Franpi Barriaux // Publié le 27 mai 2013
P.-S. :

Olivier Benoit (composition, direction), Sakina Abdou (saxophone alto), David Bausseron (guitare), Sébastien Beaumont (guitare), Samuel Carpentier (trombone), Nicolas Chachignot (batterie), Claude Colpaert (trombone), Pierre Crétel (contrebasse), Ivann Cruz (guitare), Barbara Dang (clavier), Vincent Debaets (saxophone baryton), Julien Favreuille (saxophone ténor), Nathalie Goutaillier (trompette), Martin Granger (synthétiseur), Lune Grazilly (voix), Patrick Guionnet (voix), Christophe Hache (basse), Martin Hackett (mélodica, flûte), Jean-Luc Landsweerdt (batterie), Philippe Lenglet (guitare), Stéphane Lévêque (basse), Nicolas Mahieux (contrebasse), Yanik Miossec (clarinette), Maxime Morel (tuba) ; Christophe Motury (trompette, bugle), Peter Orins (batterie), Stefan Orins (piano), Jean-Baptiste Pérez (saxophone alto), Christian Pruvost (trompette), Christophe Rocher (clarinette), Antoine Rousseau (basse), Jean-Baptiste Rubin (saxophones).