Scènes

La Nationale de Tricot orléanaise, l’âge adulte.

La Scène Nationale d’Orléans accueillait en septembre 2016 les 2e soirées Tricot du Tricollectif.


Harvest par Jean-Pascal Retel

Du 8 au 11 septembre, la Scène Nationale d’Orléans accueillait les 2e soirées Tricot du Tricollectif, une édition riche et compacte placée sous le double signe de la maturité et de la micro/macroscopie.

De l’infiniment petit à l’infiniment grand, c’est l’impression qui se dégage de cette édition dont les propositions artistiques sortaient du cadre strictement concertant.
La Scène Nationale d’Orléans, et son directeur François-Xavier Hauville, est un partenaire privilégié des soirées Tricot, donnant la liberté et les moyens pour mener les projets à bien. Bravo.
Car il y eut des concerts dans les salles du théâtre, sur scène, avec le public assis dans les fauteuils de la salle. Certes. Mais il y eut également des concerts en chaises longues, le public au centre et les musiciens autour ou au milieu. Et il y eut aussi des concerts dans le noir, au casque et même des concerts dont « vous êtes le héros ».

Le jeudi, c’est à la médiathèque et dans la rue que les membres joyeux du Tricollectif, picaros d’un général Alcazar mordu de jazz ont célébré l’ouverture du festival. Une fois installé dans le grand et beau vaisseau amiral qu’est le théâtre de la scène nationale d’Orléans, le collectif a créé son monde, déployé ses antennes, planté ses rhizomes. Les soirées pouvaient tricoter.

Caverne © Jean-Pascal Retel

De l’infiniment petit avec des propositions qui convoquent l’intime, comme les installations amplifiées de Anton Mobin, microcosmes de bois et de métal que tout un chacun pouvait manipuler, devenant interprète, renversant les rôles. Des mini-concerts personnels, de l’auto-entrepreneuriat musical.
Tout aussi intime et bouleversant, la Caverne : proposition de concert au casque, allongé sur une surface molle, dans une grotte noire au plafond de laquelle pendent des blocs de verre mal dégrossis qui reflètent les lumières comme des prismes, créant des lignes, des points, des ondulations au son d’une respiration électronique lente et douce. Une sorte de concert amniotique inoubliable, inventé par Quentin Biardeau, Simon Couratier et éclairé par Charles Hilbey.
Enfin, quitte à se retrouver au stade le plus primal de l’introspection, enfermons-nous dans une caravane avec 12 personnes (12 jurés ? 12 balles dans la peau ?) pour écouter dans le noir le spectacle Furiosa. Le texte, extrait de « Stabat Mater Furiosa » de Jean-Pierre Siméon est déclamé par Nastasia Berrezaie tandis que Florian Satche sonorise sur une grosse caisse symphonique (c’est très très gros) tout en frottements, glissements et raclements. Un moment en tension, dont la puissance évocatrice du texte et de la musique ne laisse pas indifférent.

De l’infiniment grand avec Neuneu par l’orchestre du Tricot et une improbable fable moderne autour de mascottes adulées d’un parc d’attraction carnassier, le Viandiland. A cheval entre la comédie musicale très courte et le concert narratif, ça sent le graillon jusque dans les coulisses.
De l’infiniment grand et mystérieux avec le collectif Spat’sonore et ses tentacules cuivrés qui entourent le spectateur. Au centre, les sons parviennent diffus et spécialisés autrement que lors d’un concert. On se sent prisonnier d’une toile d’araignée, ou flottant in utero, ou en discussion avec des aliens, peu importe l’analogie, c’est une situation inédite et fantastique.

Enfin, de ces soirées Tricot 2016, je retiens surtout l’émergence des autres membres du collectif. En effet, le Tricollectif a fait une entrée fracassante dans le monde du jazz grâce à la locomotive du trio Ceccaldi. Tant mieux et les projecteurs se sont braqués au bon endroit. Pendant longtemps, les projets mis en avant tournaient autour du couple de frères. Il était temps, et c’est remarquable, que se dévoilent enfin les autres projets. L’âge adulte, en quelque sorte. Un pour tous et tous pour un.
Le Quatuor Machaut en est un exemple. Ici, on découvre donc avec grand plaisir le projet du guitariste Guillaume Aknine avec Jean-Brice Godet et Jean Dousteyssier aux clarinettes qui proposent deux longs morceaux très narratifs, une écriture sensible et collective, un humour pince-sans-rire délicieux, c’est Harvest. A programmer d’urgence.
Petite parenthèse sur le programme Neuneu pour signaler qu’il est co-écrit principalement par Roberto Négro et Robin Mercier.
Malheureusement, je croise à la gare, en partant, Gabriel Lemaire qui présente le soir son trio Ya So Ma, que je n’écouterai pas donc.

Watchin’ with MILESDAVISQUINTET © Jean-Pascal Retel

Petite nouveauté, le quartet Qöölp — projet franco-allemand avec les frères Ceccaldi, le batteur Christian Lillinger (fantastique coloriste, en passant) et le guitariste Ronny Graupe. Un joli répertoire original, un peu écrit, fluide, vivant, sönöre. Pärfait.

Enfin, les programmes connus ont changé, mûri et il y a du renouvellement. On apprécie grandement l’intervention vidéo de Jean-Pascal Retel qui vient ultra-dimensionner le concert du Milesdavisquintet ! (Xavier Camarasa, piano ; Valentin Ceccaldi, violoncelle ; Sylvain Darrifourcq, batterie), en utilisant le même procédé de grammaire minimaliste. Très peu de matériau sonore pour les musiciens, à répéter à l’envi pour cette musique de transe et très peu d’éléments vidéo à projeter.
De même, la surprise est venue du Théo Ceccaldi Trio qui a dévoilé les premiers (et trop rares) morceaux de leur nouveau programme Django, autour de la musique de Reinhardt. Le peu qui a été joué est déjà culte. Jouissif. Théo Ceccaldi en Stéphane Grappelli et Guillaume Aknine en Django, voilà pour l’image.
Pour le son, patience, ça vient !

par Matthieu Jouan // Publié le 23 octobre 2016
P.-S. :

J’ai eu la grande tristesse de constater l’absence incompréhensible des professionnels de la profession. Pas de journaliste, pas de programmateur de salle ou de festival, pas de tourneur… Tout le monde reste sagement dans son bureau en attendant que les disques arrivent ? On attend de voir ce que font les autres pour copier ? Bref, c’est désolant de voir à quel point, même dans le jazz — musique de liberté et d’improvisation, la passivité intellectuelle a pris le contrôle…
Et on parle d’un festival qui a lieu à une heure de Paris.