Chronique

Lambert Wilson

Nuit américaine

Lambert Wilson (voc), Stephy Haïk (voc), Maria-Laura Baccarini (voc), Régis Huby (violon, arr), Alain Grange (cello), Guillaume Séguron (cb)

Label / Distribution : Le Chant du Monde

Un spectacle, un DVD, un CD…

C’est notre « coup de coeur » du moment. Et tant pis s’il sort des frontières du jazz…
Si nous regrettons de n’avoir pu découvrir ce spectacle parisien, le DVD réalisé avec soin tempère cette frustration. Ajoutons que pour une fois, le bonus est intelligemment conçu, d’une longueur raisonnable.
Quant au CD, il s’avère un complément indispensable avec un programme légèrement différent.

« Nuit américaine », le spectacle conçu et réalisé par le comédien-chanteur Lambert Wilson, se propose de visiter la musique américaine contemporaine. Il y est question de Broadway, certes, mais pas uniquement. Ceux qui aiment George Gershwin et Leonard Bernstein, Cole Porter et Kurt Weill, et cette époque que certains nostalgiques, comme Lambert Wilson, font revivre avec talent et passion, applaudiront à tout rompre. Saluons aussi l’éclectisme de Jérôme Savary qui peut rendre hommage à Trenet, aux bordels de Buenos Aires, accueillir cette « Nuit américaine » dans le temple de l’Opéra Comique et donner en même temps une version de « La Veuve Joyeuse », un siècle après sa création.

Le projet initial, qui ne nécessitait pas moins de cinq vocalistes, était un hommage à Stephen Sondheim, qui fit la synthèse entre le théâtre et l’art lyrique. Les contraintes s‘étant avérées trop nombreuses, Lambert Wilson changea d’orientation, traitant désormais des compositeurs américains avant et après Sondheim.

Un désir vibrant parcourt toutes les interprétations de cet album réussi qui estompe les frontières, rend vraiment ténue la ligne de démarcation entre musique classique américaine et comédie musicale, tissant des liens entre les grands compositeurs américains du XXème siècle tels Ned Rorem, Aaron Copland, Charles Ives, Samuel Barber et Kurt Weill (qui, dans sa période américaine, s’est rapproché du music hall) et ceux de la comédie musicale Cole Porter, Rodgers & Hart et John Kander. Quant à Leonard Bernstein, il est la figure la plus emblématique de cette fusion des genres : musicien classique, il était fidèle à la tradition de la comédie musicale, et il adorait mêler jazz et chanson populaire : c’est ainsi qu’il y a dans le concert des extraits de « On the Town », ou de « Candide », moins connus du public français que « West Side Story ».

Un trio de voix belles et bien placées donne la couleur particulièrement brillante de cet album : la blonde mezzo soprano Laura-Maria Baccarini (meneuse de revue dans les reprises de Cabaret, Chorus Line, Chicago) et la brune Steffy Haik (chanteuse de jazz) entourent un Lambert Wilson au superbe timbre de baryton, élégant et sensuel. Le quatrième partenaire est le violoniste Régis Huby, qui a signé les arrangements de cette heure de musique.

Ainsi, « Nuit Américaine » n’est pas seulement un hommage à Broadway, mais une aventure complexe où le choix des musiques s’est fait sur des centaines de titres, des heures d’écoute et de partage avec Régis Huby, qui a « réinventé » ces mélodies. Il est assisté de musiciens que l’on aime tout particulièrement qui officient sur les scènes de musiques plus « actuelles », a priori éloignés de la comédie musicale : Catherine Delaunay, Christophe Marguet, Edouard Ferlet, Jean-Marc Larché, Alain Grange-un des membres du Quatuor IXI- et Guillaume Séguron rendent leurs « parties » particulièrement scandées, rythmées et en tous les cas non conventionnelles. Le swing qui se dégage d’une telle session (enregistrée en public), est de nature à réconcilier les anciens et les modernes avec une section rythmique superlative, un pianiste éblouissant, des anches raffinées.

Si l’on est conquis par la voix et l’interprétation de Lambert Wilson dès les deux premiers titres, « Maria » et « Something’s Coming », qui ne déméritent pas par rapport à la B.O de West Side Story - osons même l’avouer : son interprétation surpasse celle enregistrée par le ténor catalan José Carreras en 84 pour la version « lyrique » de Deutsche Gramophon sous la direction de Bernstein « himself » - l’ensemble du disque est à écouter avec la plus grande attention. Il est formidable qu’un Français (dont la mère est anglaise, certes) ait réussi à brosser ce vaste tableau de la musique américaine, nous en donnant une lecture que seul un Américain aurait pu faire.
Comme il le souligne intelligemment, les amateurs de comédie musicale auront été voir le spectacle ou achèteront le disque : mais ce sont tous les autres qui devraient tendre l’oreille et se montrer plus curieux, car il s’agit d’un rendez-vous musical singulier, d’une proposition musicale très originale, impeccablement rendue. Travail, talent et bon goût sont au rendez-vous d’un spectacle complet qui mérite toute notre attention… et notre admiration.