Chronique

Laurent Assoulen

Reasonances

Laurent Assoulen (p)

Label / Distribution : Cristal Records

Commençons puisqu’il faut bien commencer, comme disait Kerouac dans Le vagabond solitaire. Justement Reasonances commence bien, et même très bien avec un « Children’s Reggae » à la mine réjouie, trois minutes qui ne peuvent que de dessiner un sourire complice sur nos lèvres. Loin de prendre une pose « à la Jarrett », le pianiste Laurent Assoulen décide, symboliquement, de commencer son album par ce morceau enfantin et presque naïf, genre peu répandu dans les recueils de pianiste solo. « Children’s Reggae » ressemble presque aux ragtimes d’exercice ; on retrouve d’ailleurs cette naïveté avec plaisir sur un « Zebulon » qui défile comme une historiette pour enfants : on pense au Babar de Poulenc. « Camel in New York » sait aussi se faire récitant quand Assoulen entonne l’hymne états-unien pour enchaîner sur une mélodie arabisante ; du carnaval des animaux à la mélodie jazzy, le chameau s’intègre peu à peu à New York.

Le reste est un peu plus attendu, mais non dénué d’intérêt. Assoulen lorgne vers Bill Evans et fait du pied à Bizet (sur « Carmen’s Smile ») ; il emprunte les qualités intimistes du Melody At Night, With You de Jarrett (sur « Flower’s Life ») et côtoie Brad Mehldau par la grâce d’un talent mélodiste affirmé et incontestable – notamment sur « Oriental Shadow » ou sur un « Reasonances » très romantique (et entêtant). Là, il n’a pas à rougir de la comparaison : ses mélodies sont la plupart du temps de petits bonbons qu’on ne se lasse pas de savourer. Son talent de mélodiste se déploie surtout sur un « Gentil coquelicot » léger et fragile comme la fleur du titre. Dans le langage quotidien, on appelle cela « un tube » : un morceau qui se retient facilement et que l’on écoute souvent en sifflotant, sans jamais que s’en altère la fraîcheur originelle.

A la différence de Mehldau, Assoulen met l’accent sur la construction et le fil mélodique davantage que sur l’improvisation, la variété rythmique ou l’originalité (point de piano préparé ou de dissonances avant-gardistes dans ce jardin). Les morceaux sont plutôt courts, car tout se concentre dans la mélodie, l’essence de la musique en somme – au risque de réduire la musique à la mélodie, voire de flirter, sur certaines envolées lyriques, avec le « mélo ».

Les douze titres de Reasonances s’écoutent avec un plaisir non dissimulé « un pied près de mon coeur » comme l’écrivait Rimbaud. Il leur manque peut-être le grain de folie qui sait bousculer les grands albums mais Reasonances donne envie de jeter une oreille curieuse aux mélodies à venir de ce jeune pianiste qui ne se prend pas au sérieux « pour le plaisir des plus grands et des plus petits ». Reasonances oscille entre le joyeux piano-bar et le coin du feu romantique et douillet : un jazz « inter-générationnel » et un disque plein de belles promesses, en somme.