Scènes

Laurent Dehors Trio et Baida Quartet à Jazzèbre

Laurent Dehors et son trio, suivi du quartet de Ralph Alessi


Laurent Dehors Trio par Michel Laborde

Le 15 octobre 2016, le festival Jazzèbre accueillait le trio de Laurent Dehors à l’Auditorium du Conservatoire de Perpignan. Après ce concert haut en couleurs, à l’image de son leader, le quartet du trompettiste américain Ralph Alessi jouait pour la seconde partie de soirée.

Laurent Dehors Trio

Avant l’arrivée des musiciens, la scène, côté jardin, ressemble à un magasin d’instruments de musique. C’est la place de Laurent Dehors, où l’attendent un sax soprano, un ténor, deux clarinettes, une clarinette basse, une clarinette contrebasse. Pour repiquer toute cette quincaillerie, des micros sur trois étages au bout de leurs branches, comme un saule pleureur de technique qui attend que des mômes viennent y faire de la balançoire.

Et c’est exactement ce qu’il se passe ! Le trio fait son entrée sur scène comme dans un parc d’attractions, enthousiaste et survolté. Laurent Dehors, hyperactif dans ses plus beaux atours, bouge dans tous les sens et passe d’un instrument à l’autre toutes les huit mesures. Frank Vaillant à la batterie est presque aussi électrique ; il ne joue presque que des sons courts, très secs et souvent très rapides. Il appuie, accentue, éclate, et le relief est brutal. Et puis il y a Gabriel Gosse, jeune guitariste surdoué, qui au milieu de cette débauche d’énergie semble réservé et espiègle à la fois. Réservé comme s’il cherchait continuellement l’approbation dans les yeux de son leader, et espiègle quand il est en fait le premier à savonner la planche pour exciter ses compagnons.

Le répertoire est en partie commun à celui du grand ensemble Tous Dehors sur son dernier album : Les Sons De La Vie. Les thèmes évoqués ne manquent pas de cohérence ; « La Course des Spermatozoïdes », « Gestation », « J’ai trois ans et je dis Non »… Les sons de la vie, la musique de la vie. On sent vite que c’est finalement ce qu’on regarde le trio faire : vivre. Exprimer toutes ces émotions, tous ces instants, du rire à la douleur, en passant par le doute, la fureur, l’exaltation. Tout tient dans cette heure de musique. Et le recul du narrateur, son regard sur tout ça, fait qu’il y a sans cesse de l’humour.

Laurent Dehors par Michel Laborde

C’est incroyablement dense et riche, et ce n’est jamais tranquille, même quand c’est calme. Par exemple, « Les petits Escaliers » sonne comme une ballade compte tenu de ce qui a été joué avant. Mais à y regarder de plus près, le tempo est medium, voire presque rapide ; toutes les impressions sont fonction du contexte, comme dans la vie. Franck Vaillant y joue avec tant de douceur que le moindre accent sonne comme une déflagration.

Le batteur adopte parfois un jeu ultra-mélodique et, phénomène de vases communicants, c’est dans ces moments que Gabriel Gosse actionne son octaver et fait usage de ses talents de rythmicien avec une précision chirurgicale. Avec « Valence Valse », la folie est contagieuse, Dehors sort des harmonicas et transforme l’histoire en singerie, Gosse suit et appuie pendant que Vaillant les prend à contre-pied. C’est un vrai spectacle, on ne sait jamais où donner de la tête dans cette valse « qui est à trois temps, des fois » comme dit son auteur.
On peut chercher des références ou des ressemblances ; on peut supposer un appel du pied à la « Voodoo Dance » de Julien Lourau, dans « Un Matin plein de Promesses », mais le doute ne s’estompe jamais : Laurent Dehors ne sonne que comme lui-même. Quand le concert se termine, on est à la fois ravi et crevé, comme si on avait mobilisé autant d’énergie pour avaler leur jeu qu’eux pour nous le livrer.

Baida Quartet

Vient ensuite le tour du trompettiste Ralph Alessi et de son quartet Baida.
Autre musique, autres façons, autre ambiance. Il ne doit pas être évident de passer après un groupe qui a à ce point réjoui et fatigué le public. Mais tout de même, on regrette assez vite le peu d’émotion qu’on trouve dans le jeu des Américains. Il n’y a pas beaucoup d’échange ni de partage, autant avec leur auditoire qu’entre les musiciens eux-même. La musique est exécutée à la perfection, chaque instrumentiste fait preuve d’une maîtrise absolue de sa technique, mais qui ne suffit pas à estomper l’ennui.

Ralph Alessi par Michel Laborde

Ralph Alessi a un beau son, et est capable d’en modeler le timbre avec grâce. En début de set il s’approche de celui de Miles Davis dans la musique d’Ascenseur pour l’Échafaud, puis quelques morceaux plus tard on croit l’entendre regarder du côté de Freddie Hubbard. A la batterie, Mark Ferber (qui ce soir-là remplaçait Dan Weiss) joue le rôle de la poigne de fer tandis que le contrebassiste Drew Gress celui de gant de velours, avec ce son chaud et puissant.
Lorsque les musiciens se retrouvent dans un état commun, c’est un événement de taille qui contraste avec l’atmosphère générale, résolument intellectuelle.
En fin de concert, la prestation s’assouplit et le groupe semble se détendre. Ils étaient à Perpignan entre une date aux Açores et leur retour à New York, probablement pas dans les meilleures dispositions, donc, pour véhiculer leur énergie. Dommage !