Chronique

Lazro / Répécaud / Kristoff K.Roll / Keller

Actions Soniques

Daunik Lazro (bs), Géraldine Keller (voc, fl), Dominique Répécaud (g), Carole Rieussec (Kristoff K.Roll) (elec, fx), J-Kristoff Camps (Kristoff K.Roll) (elec, fx)

Label / Distribution : Vandoeuvre

Le nom claque comme une revendication. Actions Soniques. A peine l’entend-on qu’on songe à des images de petit groupe mobile et déterminé qui résisterait par le son. Des impressions aux émotions, il n’y a souvent qu’un léger pas de côté dans lequel se niche la réalité, ou du moins l’une de ses manifestations ; inutile de dire que de Daunik Lazro aux Kristoff K.Roll, cette description prend corps immédiatement. Le couple de platinistes et électroniciens [1] est central dans cette rencontre hérissée d’électronique, c’est le moteur de la révolte, si naturelle à ces intimes. Dans « Place Tahrir », premier morceau suffocant de cette rencontre au long cours, zébré par les décharges électriques du regretté Dominique Répécaud, elle se traduit en sons étouffés par les manipulations électroniques et les cris libérateurs du baryton de Lazro, chauffé à blanc et relié à toutes les décharges nerveuses. Une jolie parabole prométhéenne que Géraldine Keller commente avec une poésie sans emphase, brute et ultra-sensible.

Partout est la rupture. Dans « Combat de platine et de guitare », le titre explicite laisse place à une lutte souterraine, presque taiseuse, jusqu’à ce que la guitare s’échappe en cataractes. Victoire dans les cordes ? Certainement pas, tant le son qui se faufile dans « Ombre double » est altéré, friable comme de la mousse, prêt à repartir sur d’autres crêtes grâce aux psalmodies de Keller. Il n’y a pas de rôle défini dans l’orchestre : chacun peut tour à tour s’enflammer ou souffler sur les braises. L’important, c’est qu’il n’y ait pas de répit dans le crépitement… Même « Transe Vintage » qui, par un bourdonnement lointain et collectif, laisse songer à une courte reprise de souffle, n’est qu’un contrepoint pendant lequel se prépare « C’est dimanche à Vandœuvre ». Ce morceau au dispositif de tensions particulièrement raffiné s’amalgame progressivement et ressemble presque à un manifeste. Pour le moins à un serment commun qui prend sens au départ de l’un d’eux : le festival Musique Action de Vandœuvre, c’était Répécaud, et il n’est plus. Ce disque posthume affirme l’absolue nécessité de continuer le combat, et les vociférations du « Roc Neuronal », qui trône au centre de l’album tel le chaudron vivace de toutes colères, en témoigne.

Rarement tant de passions se mêlent dans un seul album, tant d’agitations contraires qui peuvent passer en une seconde de l’allégresse au tourment, du hurlement au chuchotis, du fracas aux caresses. Ce n’est pas de la schizophrénie musicale, ce sont simplement les phases d’un deuil compilées et redistribuées dans le montage d’un album qui arrive à transformer cette matière noire en une gemme pure qui brille par sa pudeur. Actions Soniques est un disque qui a mis longtemps à se construire (il a été enregistré en 2016), parce qu’il s’est fait dans une indicible tristesse ; il est d’autant plus remarquable d’avoir réussi à témoigner de l’instant et de la pulsion de vie tout en gardant une facette mémorielle. Ce quintet ne jouera pas live mais chamboulera l’auditeur à coup sûr. Un album incandescent dont on ne se remet jamais vraiment.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 octobre 2018
P.-S. :

[1Jean-Kristoff Camps et Carole Rieussec dans le civil…