Tribune

Le Cachiri traditionnel

Carnet de voyage en Amazonie - Le Cachiri traditionnel


Quel meilleur moyen pour faire connaissance des Tekos et des Wayampis que de partager le « cachiri » traditionnel ?

Le terme « cachiri » désigne tout à la fois la boisson, bière de manioc fermenté qui peut faire de 1 à 5 degrés d’alcool environ, et l’institution sociale qu’est ce moment de fête organisé pour chaque évènement marquant la vie amérindienne : réunion familiale, naissance, premières règles, « maraké » [1], retour des jeunes étudiants sur le littoral, etc… Une sorte de cousin de nos apéritifs métropolitains, avec la différence notable qu’il ne s’agit pas d’acheter quelques bouteilles de vin au supermarché local, tant s’en faut…

Manioc épluché

La fabrication du « cachiri » est un travail de longue haleine réalisé avec science par les femmes de la famille. Il faut tout d’abord cultiver la variété de manioc amer, toxique sans une préparation adéquate, qui est utilisé pour l’essentiel de la cuisine amérindienne. Ensuite, quand a été arrêtée la date du « cachiri », qui s’étale sur plusieurs jours, quelques personnes partent à l’abattis [2] pour aller déterrer les providentiels tubercules. Portés à dos de femmes et d’hommes grâce au « katouri dos » [3] à travers la forêt jusqu’aux pirogues, ils sont ensuite acheminés vers la cuisine familiale pour être épluchés, puis râpés à la main sur une grage, tôle criblée d’impacts de pointe.

Après des heures de travail, la pâte ainsi obtenue est placée dans une vannerie tubulaire allongée pourvue d’une boucle à chaque extrémité, la couleuvre. En tirant sur les boucles, la vannerie se contracte et chasse le jus toxique contenu par le manioc. La pâte détoxifiée est ensuite sortie de la couleuvre, émiettée en semoule, et cuite au feu sur une grande plaque métallique circulaire. Les galettes ainsi obtenues sont les cassaves qui sont l’accompagnement principal dans les repas amérindiens. Ces cassaves sont ensuite déchirées grossièrement, couvertes d’eau potable dans d’énormes marmites d’un mètre de hauteur, laissées à fermenter pendant plusieurs jours, et filtrées à travers un tamis tressé appelé « manaré ». Comme la présure pour faire le fromage, des enzymes sont nécessaires pour activer le processus de fermentation du « cachiri ».
Ces dernières seront fournies par de… la salive ! Hygiénistes s’abstenir !

No Tongues en concert et cachiri en calebasse

Le jour J — enfin C en l’occurrence — la boisson est servie, toujours par les femmes de la famille, dans une calebasse d’une contenance moyenne d’au moins 50cl qui circule d’invité en invité ! Avec la coutume qui veut qu’elle soit bue d’une traite, le « cachiri » est pour nous autres métropolitains une aventure gustative doublée d’une gageure digestive ! Surtout que, dès que la calebasse a fini un tour, on recommence…

Bien aguerris à la fin de notre séjour, nous avons eu le privilège de commander et d’offrir un « cachiri » lors du dernier concert dans le quartier d’Ile Moula à Camopi !

Ronan Prual - contrebassiste

Remerciements à Florent Wattelier, ethnomusicologue avec qui nous avons travaillé en Guyane, pour ses précisions techniques sur ces sujets


No Tongues part en Amazonie, un carnet de voyage sur Citizen Jazz.
Épisode 1 : Imprégnation Mercurielle
Épisode 2 : Moustiques et bière de manioc
Épisode 3 : Brume sur l’Oyapock
Épisode 4 : Le Cachiri traditionnel

par // Publié le 16 décembre 2018
P.-S. :

No Tongues en voyage :

Matthieu Prual – saxophones et clarinette basse
Ronan Prual – contrebasse
Ronan Courty – contrebasse & objets
Alan Regardin – trompette & objets
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Ti Ilwan Couchili – création des supports scénographiques
Mathieu Fisson – preneur de son et d’images
Nguyen Lê – collectage sonore
Alexis Tenaud – photographie et régie technique

[1Ce rituel formalise le passage de la puberté à l’âge adulte chez les jeunes Wayampi.

[2En Guyane, terrain cultivé traditionnellement au cœur de la forêt, selon le principe de l’agriculture itinérante sur brûlis.

[3Panier dorsal pour le transport des tubercules de manioc.