Chronique

Le Cercle

Le sixième rêve de Nathanaël

Label / Distribution : Label Rives

Gaël Mevel est de ces musiciens dont on peut dire, sans que ce soit un cliché, qu’il est pluridisciplinaire. Pas seulement parce qu’il est multi-instrumentiste : des violoncellistes pareillement pianistes ou joueurs de bandonéon, c’est remarquable mais devenu assez familier dans la sphère de nos musiques. Pas uniquement parce que c’est un des pionniers des ciné-concerts, et que son répertoire s’attache à des films muets patrimoniaux de tous horizons qui ont comme point commun leur caractère indémodable, de Gosses de Tokyo de Ozu au Bonheur de Medvekine en passant par Le Vent de Sjöström. S’il est pluriel, c’est parce que Mevel se nourrit de tout cela pour offrir sa vision, son propre syncrétisme, jusqu’aux pochettes uniques de son label Rives, peintes à la main sur une surface aimantée par Dominique Masse qui signe également les notes du Sixième rêve de Nathanaël. Un songe décrit par Le Cercle, un septet réuni à la Maison de la Culture du Japon à Paris où l’on retrouve des figures de la scène improvisée hexagonale tels Jacques Di Donato ou Jean-Luc Cappozo, très en verve ici.

S’il s’agit du sixième songe, exposé ici en trois parties à l’instar des actes d’une pièce de Bunraku, les marionnettes japonaises, c’est qu’il y a eu des précédents ; dans la discographie de Mevel, Images et personnages propose en quintet le troisième rêve, déjà avec le percussionniste Thierry Waziniak, de toutes les aventures. La structure narrative est la même, basée sur un continuum sonore qui circule entre les musiciens sans rupture franche. Le rêve du cercle diverge néanmoins sur la forme et la spatialisation du son. Et si l’on pense au traditions nippones, c’est que la flûte shakuhachi de Daniel Lifermann ou les citations d’Ozu introduites dans la création électroacoustique de Diemo Schwarz induisent une unité de lieu. Du moins, un point de départ puisque d’autres voix fantomatiques viennent hanter une divagation poétique. Gaël Mevel tente de rétablir les voies anciennes de navigation entre l’Occident et le Japon. Des chemins forts codifiés, chargées de poésie, de douceur et de respect qui rendent la traversée aisée malgré quelques remous collectifs au terme du second mouvement. Il n’y aurait pas d’odyssée si tous les récifs se révélaient accueillants…

Sur ce « sixième rêve », le public est au centre d’une ronde formée par les musiciens, et lorsqu’on écoute au casque, conseillé pour profiter pleinement de l’expérience, on perçoit chacun des gestes, chacune des circulations, notamment un jeu permanent entre les clés des clarinettes (le clarinettiste basse Nicolas Nageotte fait un travail nodal dans la multitude de tangentes créées) et les frottements des cordes du violoncelle et des peaux du tambour. Il est d’ailleurs nécessaire de saluer la précision de l’ingénieure du son Céline Grangey qui transcrit à merveille l’étourdissement qui s’empare de nos sens à mesure qu’on se laisse submerger par cette musique instinctive et pourtant scrupuleusement écrite. Comment pourrait-il en être autrement ? On ignore qui est Nathanaël, mais l’on comprend vite qu’il hante les errances de Mevel où se croisent (ce sont ses exemples) le rire de Bibi Anderson, Debussy, Duke Ellington et le cinéma de Kurosawa. Autant dire qu’on se sent chez soi dans cet univers qu’on quitte avec difficulté, comme sa propre couette.