Scènes

Le Festival Vision

Le festival Vision, animé par William Parker, a lieu tous les ans au mois de mai à New York. Dans cette édition parisienne, il fut l’occasion de découvertes passionnantes.


Ellen Christi (voc) / Hamid Drake (d) / William Parker (b)

Billy Bang (vln) / William Parker (b) / Patricia Nicholson (danse)

Whit Dickey (d) / Matthew Shipp (p) / Rob Brown (as,fl)

Fred Anderson (ts) / Kidd Jordan (ts) / Hamid Drake (d) / William Parker (b)

Samedi 19 Janvier 2002 Le Kremlin Bicêtre - Espace Culturel André Malraux

Festival Sons d’Hiver 2002

C’est ce qu’a longuement répété la chanteuse Ellen Christi. Une phrase revendicative comme emblème des esthétiques contrastées présentes ce soir là à l’Espace Culturel du Kremlin Bicêtre.
Une musique comme futur qui ne renie en rien ses origines, l’Afrique est présente autant dans les vêtements que dans les percussions qu’utilisent Hamid Drake en introduction au premier concert. Ellen Christi, avec ses deux micros créent d’étonnants « delays », soutenue par une rythmique de feu qui relance le propos avec une vivacité stupéfiante.
Cela donne une musique fortement pulsée qui fait réagir chaleureusement la salle à cette magnifique entrée en matière.

Une main passe derrière le rideau éclairée par un faisceau de lumière, ondule, frémit. Une danseuse s’avance enfin, sur la pointe des pieds. Derrière et avec elle, Billy Bang violoniste phare de ce que l’on a coutume d’appeler la troisième vague du free jazz, et William Parker.
Il est amusant de voir Billy Bang en cabotin d’un soir, n’hésitant pas à en rajouter (avec humour) dans le grincement de cordes, ou faisant le clown devant les photographes. Moins anecdotique est le jeu qu’il entreprend avec la danseuse faisant d’elle « son objet » qu’il guide, qu’il faut sautiller, qu’il accompagne dans le geste.
William Parker ne se mêle pas à la danse de ces deux amants, il maintient simplement le rythme. Bref, un spectacle très intéressant, sans doute un peu long, les musiciens sont entraînés dans leur musique et on ne trouve a priori aucune raison pour que cela s’arrête à un moment précis. Alors, ce sont les éclairagistes qui font comprendre un peu brusquement aux musiciens qu’il y a une suite au programme.

Que dire à présent du concert du Matthew Shipp Trio ? Que ce fut un moment de musique libre, pas forcément libérée de la discipline qu’elle se donne. Qu’il est encore plus difficile d’être objectif devant ces blocs musicaux qu’érigent les musiciens. Pour être trivial, soit cela vous passe largement au dessus de la tête, soit cela vous fonce en plein dedans.
Le leader m’a cependant semblé plus cohérent que ses deux compagnons dans son approche, extrêmement percussive, évoluant dans des territoires qui lui sont propres, mais qu’on peut rapprocher de Cecil Taylor et de Bela Bartok …
Et puis soudain cela jaillit, on ne sait pas très bien pourquoi, mais enfin cela se met à vous parler dans une globalité et non pas par fragment.
Voilà : inégal, irritant, et intéressant en même temps.

Les mots me manqueront sûrement pour décrire le dernier concert. On pourrait y aller dans les superlatifs, j’ai simplement envie de dire il fallait y être !
Je ne connais pas l’âge de Fred Anderson et Kidd Jordan, j’ignore à peu près tout de leur parcours. Simplement ce qu’ils ont livré ce soir était d’une intensité et d’une « vérité vraie » à faire pâlir de « honte » certains jeunes musiciens. Une véritable leçon de musique et de vie. Du free direct aux tripes : soutenus par les polyrythmes d’Hamid Drake (quel batteur !) et des walking infernales de l’inusable William Parker, les deux saxophonistes vont au bout d’eux-mêmes.
La salle chavire.
Ca hurle de partout, ça exulte, ça bouge, c’est la transe collective !
Yes, their music is the future of all !