Chronique

Le Trio de clarinettes

Angster/Kassap/Foltz

Armand Angster (cl) ; Sylvain Kassap (cl) ; Jean-Marc Foltz (cl)

Label / Distribution : Emouvance

Une chose est sûre, voilà qui n’est pas un disque de jazz : le Trio de Clarinettes ne correspond pas à l’image et aux codes imposés par cette musique. Mais toute sa beauté apparaît pour peu qu’on y prête l’oreille : insidieusement, cette musique espacée emmène défricher le silence et fait rêver d’Ellington en plein désert, avancer au rythme d’une caravane entre des dunes de glace.

Le « Trio » avait publié en 1995, dans une configuration double, une Green Dolphy Suite, dont on attendait… la suite. Toujours la même complicité éprouvée entre Armand Angster et de nouveaux partenaires cette fois, Sylvain Kassap remplaçant Jacques di Donato et fort logiquement, Jean-Marc Foltz remplaçant Louis Sclavis.

C’est de leur jeu musical que jaillit le plaisir, à l’écoute de musiques bien vivantes, jubilatoires car le corps est loin d’être absent des pratiques contemporaines. C’est une musique du corps où la tête continue à penser. Il s’agit de déployer une succession de pièces vibrantes et enlevées (rien de surprenant quand on connaît le Trio), de laisser des formes ouvertes suffisamment libres, d’arriver à l’intégration vertigineuse du silence. Tous trois donnent un quasi-récital de l’instrument dans tous ses états et ses éclats. Dans cette musique colorée, ardente, ironique parfois, spirituelle en tous cas, chacun se découpe des solos. Les conversations rythmées, audacieuses, intelligentes, sont des confrontations de registres et de sonorités, chacun jouant à son tour de la clarinette en si bémol et de la clarinette basse, Angster s’offrant le luxe de la clarinette contrebasse. Tous les échanges sont fondés sur une acceptation pleine et entière de la liberté de chacun, laquelle ne se limite que de sa rencontre avec les territoires de l’autre.

Il fallait bien des années de pratique pour en arriver à ce niveau d’intensité et de justesse - une formidable maîtrise instrumentale et une culture musicienne étendue. Ne dit-on pas qu’« un vrai improvisateur est quelqu’un qui se prépare à n’être pas préparé » ?
Si ces performances méritent d’être suivies en live, le disque permet de découvrir plus profondément la teneur de cette aventure éminemment poétique où la musique prend le pouvoir. Un jeu fraternel qui ne cherche pas à provoquer l’émoi, qui ne joue pas sur la corde sensible, mais suscite néanmoins bien du plaisir, sensation plutôt rare en ces périodes austères.