Tribune

Le jazz en Midi-Pyrénées [2]

Le jazz en Midi-Pyrénées est en perpétuel mouvement, et ce panorama en quatre volets en constitue une photo en un instant T, un cliché nécessairement incomplet mais qui permet d’explorer cette scène. Marciac en est la figure la plus visible mais Toulouse en est le cœur. Ce réservoir de musiciens irrigue la scène jazz dans la Région et au-delà. Qui joue quoi et où ?


Le jazz en Midi-Pyrénées est en perpétuel mouvement, et ce panorama en quatre volets en constitue une photo en un instant T, un cliché nécessairement incomplet mais qui permet d’explorer cette scène. Marciac en est la figure la plus visible mais Toulouse en est le cœur. Ce réservoir de musiciens irrigue la scène jazz dans la Région et au-delà. Qui joue quoi et où ?

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En Midi-Pyrénées ou ailleurs, quand on pose la question du jazz, ce sont les frontières stylistiques qui sont souvent sollicitées. Qu’est-ce qui est jazz ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? A croire, d’ailleurs, que l’histoire de ce style pourrait être résumée à cette problématique. Car lorsque les tenants d’un courant novateur s’ingénient à se démarquer des courants précédents, ils sont rejetés « hors jazz » car trop modernes…

Le jazz en Midi-Pyrénées n’est pas sans style. Mais dès lors qu’on se penche sur ses prétendues marges, on trouve quelques surprises dont l’absence, quelque part fort bruyante, de Nougaro. Si son empreinte institutionnelle est indéniable, ni sa poésie, ni son répertoire, ni sa verve ne semblent être fondamentaux dans l’univers jazzistique en Midi-Pyrénées. Quant au jazz manouche et au New Orleans, on peut très aisément imaginer que ces univers relativement clos ne constituent pas une spécificité régionale. Ces styles, aux frontières aisément reconnaissables, se mélangent finalement peu à d’autres. Peut-être parce qu’ils sont ultra-référencés ? C’est également le cas du flamenco. Reste l’Amérique latine, dont l’influence semble être plus prégnante. Mais est-ce spécifique à Midi-Pyrénées ?

Claude Nougaro, une figure peu présente dans le jazz en Midi-Pyrénées

Vue d’un peu loin de la région toulousaine, la question de la marge jazzistique pourrait être envisagée à travers la figure de Claude Nougaro, ce chanteur de variétés qui a largement puisé dans des standards du jazz et de la bossa et qui s’est entouré de jazzmen de renommée. En effet, sa notoriété et son accent volontairement appuyé sont tels que, de l’extérieur, sa figure pourrait être emblématique, peut-être pas de la région, mais de Toulouse.

En fait, si Nougaro est indéniablement une figure locale (un collège, une salle de spectacles portent son nom), force est de constater que la scène locale n’en est pas tributaire. Il existe des projets autour de ce chanteur emblématique de la Ville rose, parfois d’une indéniable qualité : le quintet Nougaro Trombone mené par Lionel Segui, le Commando Nougaro, auquel participent les chanteuses Françoise Guerlain et Coco Guimbaud, ou encore les Récréations Nougaro d’Hervé Suhubiette. Certains sont plus banals comme « Jazz au féminin » et « Jazzela » de la chanteuse lotoise Maïté Rolland ou encore Nouga d’Oc. Mais, globalement, peu ont à voir avec le jazz, sinon le projet au trombone ; finalement, l’hommage jazzistique le plus fort - ou le plus médiatisé - à ce jour, lui est rendu par le quartet composé d’André Ceccarelli, Pierre-Alain Goualch, Diego Imbert et David Linx. Que la scène locale soit relativement indifférente à la figure de Nougaro s’explique peut-être aussi par le fait que, s’il a revendiqué haut et fort un attachement à sa ville, il ne s’est pas produit, en revanche, avec des musiciens toulousains. Ainsi, sa dernière orchestration était composée de Daniel Zimmermann, Stéphane Guillaume, Denis Benarrosh, Eric Chevalier, Nicolas Montazaud, Rémi Vignolo, Nicolas Giraud et Yvan Cassar qui en a assuré la direction musicale et les arrangements.

La corne de l’Espagne

Outre Nougaro, c’est l’Espagne que l’on peut spontanément associer à Midi-Pyrénées. Or, la scène jazz espagnole est relativement absente. Les jazzmen espagnols ne se produisent pas de manière régulière dans les salles de Midi-Pyrénées. En revanche, on trouve beaucoup de musiques espagnoles à Toulouse, et en premier lieu le flamenco. Peut-être est-ce par ce biais que « l’Espagne pousse un peu sa corne » ? Quoi qu’il en soit, lorsqu’on lorgne du côté du flamenco, ce sont les guitaristes qui sont les mieux représentés. Certains ont d’ailleurs une notoriété très importante, tels Serge Lopez, Bernardo Sandoval et Kiko Ruiz.

Mais comme dans le cas de Nougaro, on touche là encore aux limites du genre. Ainsi, Bernardo Sandoval ne se revendique pas du jazz. Et si on a pu entendre et voir Serge Lopez, en trio avec Pascal Rollando et Jacky Grandjean, au Mandala, pour une leçon de jazz, celle-ci était consacrée au… flamenco. De la même manière, si on connaît Kiko Ruiz par différents projets de Renaud Garcia-Fons, le guitariste estampille « flamenco world » la musique qu’il signe sous son nom. L’univers du flamenco, dans la région toulousaine, semble en fait relativement clos, semblable à un réseau fermé. Les connexions y sont d’ailleurs très fortes puisque, si chacun des trois guitaristes cités poursuivent leurs carrières respectives, ils ont, ensemble, un trio. De la même manière, le bassiste Jacky Grandjean et le percussionniste Pascal Rollando accompagnent à la fois Serge Lopez et Kiko Ruiz.

La discographie des musiciens cités est tout autant significative de cette étanchéité stylistique. Ainsi, si Rollando a enregistré avec des chanteurs de variété (Bernard Lavilliers, Michel Fugain, Francis Cabrel, Art Mengo…), il n’est pas présent dans le milieu du jazz, sinon avec Garcia-Fons pour le projet Arcoluz. Quant à Ruiz, hormis sa collaboration étroite avec Garcia-Fons (Entremundo, Arcoluz, La linea del sur et Méditerranée) et, plus ponctuelle, avec Jean-Marc Padovani, il n’est pas présent sur la scène jazz. Dans une logique semblable, ni Lopez ni Sandoval n’ont enregistré avec des musiciens de jazz, à l’exception notable de l’album Amor sur lequel Sandoval est accompagné par Guillaume de Chassy, Joël Trolonge et Jean-Denis Rivaleau. Reste Grandjean qui vient de sortir un album auquel participe entre autres Sylvain Luc. Mais Luc n’a enregistré que sur un morceau et, parmi tous les musiciens de flamenco cités, seul Jacky Grandjean revendique explicitement une influence du jazz. En revanche, dans la notice biographie de son MySpace, il date très clairement un passage du jazz au flamenco, faisant clairement apparaître une césure entre ces deux styles.

A côté de cet univers porté par les musiciens les plus en vue, il existe néanmoins d’autres groupes de flamenco, dont le trio de Samuel Geoffrey ou la formation au nom très référencé « Entre dos aguas ». Mais là encore, peu de liens avec le jazz. Quelques expériences originales sont menées, comme le duo en voie de formation composé par le guitariste Olivier Vayre et le bassiste Didier Curylo. Mais, ce sont des projets qui sont relativement loin du jazz, à l’exception peut-être du quartet Aléas.

L’influence de l’Amérique du Sud

De manière plus surprenante, les connexions avec l’Amérique latine sont plus explicites, en tout cas plus souvent revendiquées, et semblent représenter une source d’inspiration plus importante.

Pulcinella, par exemple, revendique, entre autres, l’influence d’une musique dont la figure tutélaire, Carlos Gardel, serait née à Toulouse, ou encore du duo La Mala Cabeza, composé de l’accordéoniste Florian Demonsant et du chanteur Paco Serrano, qui propose un « tango dégénéré ». C’est en clin d’œil qu’Alyss a enregistré un « Tango la lune » sur l’album Jurassic Jazz… mais un clin d’œil explicite. En outre, la multitude d’événements « latino-américains » sont autant de marqueurs qui montrent que Toulouse en particulier et la région Midi-Pyrénées en général regardent assez facilement du côté de l’Amérique latine. Citons, dans le Gers, le festival Tempo Latino, dans l’Ariège le festival Fiesta latino, le Tarascon Latino Festival, Tempo Loco, les Rencontres cinématographiques d’Amérique latine - qui proposent, en marge des projections, des concerts « latinos » -, des formations telles que le Culinaro Jazz Band, Locoson, El remedio, la participation occasionnelle du saxophoniste d’origine cubaine, Dayan Virelles, au trio de Cyril Amourette, la présence des musiciens brésiliens, Eraldo et Darcy Gomes… autant d’exemples de ce tropisme, au même titre que la participation de musiciens dans des formations à la fois jazz et salsa : Guillaume Pique joue dans le quintet délirant Alfie Ryner, dans les plus classiques Jazpilleurs et dans la formation salsa Afincao, et Robi Rohrbacher, flûtiste, dans la Banda de pifanos de Tolosa ; ajoutons les suites mexicaines commandées par Rio Loco à Maxime Delporte et, si elle n’est pas spécifiquement salsa, l’adaptation de standards brésiliens par le quartet de Fabien Tournier. Enfin, pour son premier disque, le FDH trio a invité Mino Cinelu, Sonny Troupé, Jacques Schwartz-Bart et Thibaud Dufoy.

La place de la musique latine dans les programmations des festivals d’été est plus ambiguë. Ainsi, en 2012, Jazz in Marciac a programmé dans son « in » le guitariste Luis Salinas, Roberto Fonseca, Omar Sosa, l’Orquesta Buena Vista Social Club, Eddie Palmieri Salsa Orchestra, Rubén Blades et Edmar Castañeda. En 2011, c’étaient Al di Meola avec Gonzalo Rubalcaba, Michel Camilo avec Chucho Valdés, le Spanish Harlem Orchestra, Harold López Nussa, Omar Sosa, le chanteur brésilien Carlos Lyra et le clarinettiste cubain Paquito D’Rivera. Les autres festivals de jazz semblent moins positionnés sur ce registre latin même si, en 2012, Egberto Gismonti a été programmé dans le cadre de Jazz sur son 31 et, la même année, Omar Sosa à Souillac. Le festival de Montauban, lui, invitait en 2012 Ernesto Tito Puentes, et en 2010 l’Orquesta Buena Vista Social Club. De la même manière, Jazz in Comminges a programmé Roberto Fonseca en 2010 et, en 2011, le Barcelona Jazz mais pour accompagner… Jon Faddis. Et on trouve relativement peu de formations latines à Millau en Jazz (El Hijo de la Cumbia, Zaragraf en 2011, le Culinaro Jazz Band en 2012, mais rien dans les têtes d’affiche) ou à Querbes par exemple. Bref, au regard des programmations des festivals, il semble que Marciac soit l’exception. Mais quelle exception !

Le jazz manouche

Et puis, dans les marges, il y a le jazz manouche. Car, si le terme « jazz » lui est systématiquement accolé, sa spécificité est telle que c’est un style immédiatement reconnaissable. A l’instar du flamenco, c’est un univers relativement clos sans beaucoup d’interactions avec d’autres courants jazzistiques. La référence à Django Reinhardt, dont, souvent, seul le prénom est cité, est exclusive. Trima Jazz par exemple « joue le répertoire de Django Reinhardt », et dans sa biographie, Symon Savignoni révèle sa passion : « la musique de Django Reinhardt ». Les répertoires de Camping sauvage, de Babaous trio ou encore des Cordes timbrées sont tout ce qu’il y a de plus conventionnel. Comme celui du guitariste Tchiquito Lambert, installé dans l’Ariège.

Il faut toutefois mentionner que certains groupes de swing associent le manouche avec d’autres influences. C’est le cas par exemple du duo Benjamin Roques/Philippe Rigal qui, s’il ne revendique pas spécifiquement Django, puise autant dans le manouche que dans la chanson. Mais surtout, quelques formations marient le jazz manouche avec d’autres genres, proposant ainsi des projets originaux : Fretswing mélange allègrement swing manouche, salsa, blues et jazz pour un résultat de belle qualité et Swing Machine propose un swing plus électrique sur une instrumentation moins traditionnelle.

Il faut, dans ce registre, ménager une place à part à deux groupes, Mystère trio et Swing 39, car, outre le fait qu’ils sont relativement connus, ils ont pris le parti de composer librement avec la musique de Django : s’ils sont inscrits dans le jazz manouche, ils peuvent aussi se rapprocher de Ry Cooder (« Blues à Bamako » du Mystère trio), ou revisiter la musique maghrébine (« Agadir » du Mystère trio, et « Marrakech la Folle » par Swing 39). Ce sont plutôt des formations qui jouent des musiques du monde dont du jazz manouche. Dans le cas de Swing 39, il est notable que, sur leurs trois albums, il n’y ait qu’une reprise de Django Reinhardt et que, parmi l’ensemble de leurs vingt-deux titres, on ne compte que trois reprises.

Le new orleans : un univers clos

A l’opposé, le new orleans est parfois considéré comme le jazz par excellence, sinon le jazz authentique. Certains estiment même que, par le biais d’une orchestration et d’un répertoire « new », on pourrait renouer avec la naissance du jazz. C’est une erreur : le répertoire serait décontextualisé. En outre, entre 1920 et 1940, la musique a changé. Envisager un répertoire new orleans unique, voire type, serait au mieux erroné, au pire mensonger. Entre les partisans de ce style « originel » et les tenants d’autres jazz, on assiste à une déclinaison de la sempiternelle querelle des Anciens et des Modernes.

Quoi qu’il en soit, ce style existe et on trouve, un nombre considérable de formations new orleans en Midi-Pyrénées. Là encore, ce serait une gageure que de vouloir toutes les citer, voire de toutes les connaître. Un recensement sommaire m’amène à en compter une trentaine, qui vont du duo à des groupes d’une dizaine de musiciens. Parmi eux, le Crazy Jazz Band, trio mené par Christophe Tellez, ou le Toubib Jazz Band, un groupe formé de médecins qui existe depuis 34 ans ! Ces formations sont régulièrement fréquentes dans les programmations off ou les animations des festivals de la Région. Certaines manifestations ont fait le choix de les privilégier, comme Swing à Mirepoix, et elles figurent régulièrement dans le off de Jazz en Comminges ou de Souillac en Jazz. Peut-être parce que ce sont souvent des formations souvent déambulatoires traditionnellement associées à la parade et à la fête. Peut-être le new orleans représente-t-il aussi, pour certains festivaliers et programmateurs, un style incontournable…

En revanche, à l’image du jazz manouche, peu de formations novatrices dans ce type de musique. Les répertoires sont souvent identiques, traditionnels, ce qui contribue à figer cette musique dans un contexte exclusif : le Martin’s Jazz Band consacre sur son site un onglet à l’« historique du jazz new orleans » et l’arrête avec Coleman Hawkins et Fletcher Henderson. De la même manière, les Gascons Laveurs revendiquent de « tirer leur répertoire des origines du jazz » et de « jouer dans les rues, ou quelques morceaux de bravoure qui mettaient le feu dans les « boîtes de l’époque ». » Tout comme Jazzmagnac dont les musiciens « ont pour but commun et pour passion de faire revivre les débuts du Jazz dont ils sont de fervents amateurs [et] ont pour cela reconstitué l’orchestre de base New Orleans des années 30 ».

Le new orleans semble donc constituer lui aussi un univers assez clos, sans grande interaction avec d’autres styles. Parmi les formations que j’ai eu l’occasion d’écouter, très peu comptent des musiciens jouant aussi d’autres jazz. Citons tout de même certains membres des Happy Feet - dont David Cayrou, le leader, qui participe au quartet Somesax -, le tromboniste Sébastien Arruti - est à l’initiative de Yep quartet - ou encore Lionel Segui, tromboniste également, qui joue dans le très moderne et jubilatoire Big Band Initiative H. Citons encore les Jazpilleurs, dont le répertoire, tout en restant « swing », s’émancipe du new orleans début XXe : Pascal Marrou est également contrebassiste de Fall in Bop, une formation de jazz vocal dont le pianiste est Laurent Coulondre ; Tim Saour, saxophoniste, joue avec le Street Sound Sextet, une tonique formation de jazz urbain, et avec Airtiss ainsi que Jazzsillicious, deux formations fortement influencées par le rhythm’n’blues, et avec le Sunny Side trio (où il chante également). Quant à Guillaume Pique, il est, entre autres, tromboniste dans les terriblement modernes et délicieusement décalés Alfie Ryner. Mais cela ne va pas beaucoup plus loin.

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