Tribune

Le jazz est-il mort ?

Nouvelle question ? Non, trouble chez certains amateurs et professionnels…


Le jazz est-il mort ? Nouvelle question ? Certes non, trouble chez certains amateurs et professionnels, assurément oui. Mais pourquoi se poser cette question ? Pourquoi ne pas simplement se laisser aller au jeu et à l’écoute ? Parce que cette musique est un Art majeur et qu’il nous interpelle.

Le jazz est-il mort ? Nouvelle question ? Certes non, trouble chez certains amateurs et professionnels, assurément oui. Mais pourquoi se poser cette question ? Pourquoi ne pas simplement se laisser aller au jeu et à l’écoute ? Parce que cette musique est un Art majeur et qu’il nous interpelle.

Il faut simplement se placer devant cette alternative : ou bien le jazz est une Grande Musique, ou bien il n’a été qu’un moment musical, cadré, daté, répertorié, modélisé, pour employer un langage scientifique. Si tu choisis la première prémisse, alors le jazz est un art de création, de recherche et d’avenir, une musique « de mercredi prochain », comme se plaît à le dire François Jeanneau. Musique éternelle, comme les autres arts de création. Dès son origine, le jazz est une musique métisse, ce qui lui donne toute sa beauté et son originalité. Il n’y a dès lors aucune raison - sauf à l’enfermer, crime hors de raison - qu’elle ne poursuive pas ses alliances et ses mariages. Certes, tu dois rester vestale de cet Art, en veillant à ce que l’improvisation soit toujours ontologiquement à l’œuvre.

Le risque mortifère tient dans la deuxième proposition : Si le jazz devient « définitivement » une musique de répertoire, alors il te suffira de relever tous les chorus des glorieux Anciens et de les répéter inlassablement. Il me revient un soir, à Juan-les-Pins, où la grande Ella répéta fidèlement son chorus des années précédentes sur le fort connu « Lady be good ». Le jazz devient alors une musique « classique », de répertoire, que l’on fait revivre chaque fois qu’on la joue et qu’on laisse là où on l’a rencontrée. Tu aimeras l’écouter comme tu aimeras déguster une symphonie de Mahler, ni moins, ni plus.

Si le jazz est au contraire, telle une cellule vivante ouverte à tous ses environnements, prêt à jouer le jeu risqué de la vie, c’est-à-dire celui de la sélection et de l’évolution, tu découvriras ou redécouvriras des musiciens comme Ornette Coleman, Steve Coleman, Marc Ducret, Claude Barthélémy, David S Ware, mais aussi Michel Portal, Daniel Humair, François Jeanneau et la nouvelle vague : Jean-Philippe Muvien, Rémi Dumoulin, Médéric Collignon, Thomas de Pourquery, Guillaume Perret, Airelle Besson, Sophie Alour… Tous ces musiciens nourris au lait de l’improvisation dans un monde ouvert aux autres, prennent tous les risques du jeu culturel de l’Homme.

Méfie-toi d’être complaisant avec le passé. La nostalgie ne sert pas la musique en général ; elle dessert tout à fait le jazz. Toute alliance avec le passé n’apporte que souffrances (dans nostalgie il y a algos, la souffrance), regrets, replis sur soi et enfermements. Il est plus que temps que les musiciens de jazz tuent le père pour devenir des commencements d’adultes. Dans le domaine de la culture comme dans presque tous les autres, nous ne sommes encore que des primates. Pas moyen encore de passer de l’hominisation à l’humanisation !

L’Art nouveau ne doit pas attendre de reconnaissance. Il se doit d’exister, tout simplement, dans l’instant. C’est à ce prix qu’il a quelques chances d’advenir. Dominique Lecourt n’a-t-il pas écrit : « …se disposer à accueillir l’imprévu au lieu de continuer à croire que l’avenir ne sera que le prolongement du présent. » ?