Chronique

Lee Konitz New Quartet

Live at the Village Vanguard

Lee Konitz (as), Florian Weber (p), Jeff Denson (b), Ziv Ravitz (dm)

Label / Distribution : Enja Records

Le nouveau quartet de Lee Konitz est constitué par le trio Minsarah (Florian Weber au piano, Jeff Denson à la contrebasse, Ziv Ravitz à la batterie) : pour la première fois on n’est plus dans le cas de figure du soliste prestigieux accompagné, mais en présence d’un véritable groupe. La nuance est de taille : cet octogénaire légendaire, ex-élève et disciple de Lennie Tristano qui anticipa les formes avant-gardistes des années 60, a su éviter ainsi le piège de la routine.

Ici la stimulation est réciproque, avec un répertoire certes connu - des standards qu’on dit à tort éculés (ils le deviennent si on ne les vivifie pas) - mais sublimé, comme il faut s’y attendre avec de tels improvisateurs. Pour l’avoir fréquenté pendant huit jours lors du Festival d’Antibes en 1974, puis avec Martial Solal quelques années plus tard, je peux confirmer la constante bonne humeur et l’humour discret du personnage. Propos recueillis lors des répétitions des 31 mars et 1er avril 2009 : « Faisons ça sous forme de quiz ; commençons à improviser en ne jouant que quelques bribes de la mélodie ; le premier spectateur à reconnaître le morceau devra lever la main et on lui offrira un verre s’il donne la bonne réponse. » Ainsi ce « Cherokee » qui, distillé note à note, ouvre le disque par petites touches évocatrices, en pointillé, à la Signac, et qui aboutissent comme par enchantement à l’énoncé du thème [1].

La sonorité de Konitz est remarquable par rapport aux récents enregistrements et concerts : alors qu’elle s’était peu à peu épaissie au fil du temps, on la retrouve plus éthérée, comparable à celle de ses débuts dans l’orchestre de Stan Kenton, puis au cours de sa période dite « cool ». Konitz franchit à nouveau des sommets vers l’aigu, chuchoté ou affirmé, mais toujours raffiné et pétillant de malice, avec étirement, prélassement, musardise, sans mièvrerie, à la poursuite de la mélodie (« Polka Dots And Moonbeams » et le très « tristanien » « Color » de Weber, ce dernier ayant parfaitement assimilé les leçons de renouvellement thématique du maître), de ses contournements, escapades, échappées belles et autres chemins de traverse. [2]

Pas de temps mort au cours de ces deux soirées, mais un bonheur jubilatoire à se livrer totalement (à délivrer également quelques instants de plaisir) de la part d’un éternel jeune homme (c’est peut-être un cliché, mais tellement vrai…) en plein deuxième souffle… à en couper le nôtre.

Lee Konitz ou une délicate incandescence, un brûlot apaisé et apaisant.

par Jacques Chesnel // Publié le 5 avril 2010

[1En profiter pour relire à cette occasion le roman éponyme de Jean Echenoz (Ed. de Minuit) !

[2Une des explications de cette sonorité retrouvée : à l’occasion de son passage au Village Vanguard, il a fait restaurer par son réparateur de toujours son vieux saxophone de l’époque Tristano, avec lequel il n’avait pas joué depuis des années.